Dieu, le débat essentiel
Timothy Keller est connu comme le pasteur qui a réussi à implanter une église importante (l'église du Rédempteur) dans un coin de notre planète qui est certainement l'un des plus sécularisé du monde : Manhattan. Prouvant par là que le message de l'évangile est bien intemporel et qu'il peut traverser non seulement les frontières politiques et géographiques, mais surtout défier les forteresses du matérialisme et vaincre celui qui en est l'inspirateur, Mammon.
Les éditions Clé ont publié plusieurs ouvrages de T. Keller dont un livre qui est une sorte d'introduction à celui-ci "La raison est pour Dieu" dans la mesure où ils sont tous deux des livres d'apologétique visant à donner des arguments rationnels à la foi chrétienne. D'ailleurs T. Keller précise bien dans sa préface que "Dieu le débat essentiel" est complémentaire à son premier livre dans la mesure où il développe dans celui-ci une apologétique plus aboutie et plus argumentée (p. 11).
Une invitation pour les sceptiques
Editions Clé
462 pages
2019
23.90€
Voici donc un livre de plus de 450 pages dont 113 pages de notes qui sont placées à la fin ce qui facilite la lecture à l'inverse des livres où les notes sont en bas de page et peuvent tenter le lecteur d'interrompre constamment son parcours de lecture. On peut aussi féliciter le traducteur Jonathan Chaintrier pour ce travail titanesque. A la vue de ces quelques 651 notes, il semble évident que notre auteur connait bien son sujet et qu'il est très bien documenté.
Cependant le lectorat français qui se risquera à piocher dans toutes les sources citées dans ces notes pourra être un peu frustré. En effet la totalité des ouvrages cités sont des auteurs anglophones (américains pour la plupart) qui ne sont pas traduits et pas toujours très connus, à l'exception de quelques auteurs qui ont été traduits comme : C. Taylor, S. Pinker, R. Pippert et le livre du philosophe français Jean Luc Ferry " Apprendre à vivre, traité de philosophie..." aux éditions Plon.
Le but de ce livre est d'offrir aux lecteurs des arguments démontrant que le christianisme par rapport au matérialisme athée " a le plus de sens sur le plan émotionnel et culturel [...] et qui nous donne des ressources inégalables pour répondre à ces besoins humains incontournables" (p. 12).
Dans la première partie, T. Keller démontre que les matérialistes athées qui pensent développer leurs arguments uniquement sur la base d'une logique rationnelle ont en réalité leurs propres présupposés, ils partent de postulats qui sont bien souvent sous entendus et qui correspondent à une certaine vision du monde.
D'autre part, il n'est pas juste d'opposer foi et raison, qu'on soit croyant ou athée on a tous recours à la foi et à la raison pour établir ses croyances, "nous devons donc comparer croyances et arguments religieux avec croyances et arguments matérialistes [...] et débattre de la cohérence interne et de la logique de nos systèmes de pensée, en nous demandant s'ils s'accordent ou se contredisent." (p. 76)
Dans la deuxième partie T. Keller explique comment aussi bien la pensée matérialiste que le christianisme tentent de répondre à 6 besoins fondamentaux de l'être humain qui sont : la quête de sens, de bonheur, de liberté, d'identité, de morale et d'espérance, avec un développement que j'ai trouvé plus appuyé, argumenté et plus convaincant pour les thèmes de liberté et d'identité.
La question de la liberté est certainement un point important dans ce livre d'apologétique et on peut le comprendre à une époque où le thème de la liberté est devenu une sorte de bien suprême "la seule et unique vérité qui relativise toutes les autres doctrines et croyances" et donc celle du christianisme (p. 139).
Concernant le thème de la quête d'identité, l'auteur démontre que dans les cultures traditionnelles l'identité se construit dans le regard de la communauté d'appartenance, dans ce type de société on se reconnait dans le visage des autres alors que de nos jours, dans une société matérialiste et athée, l'identité se forge dans une introspection et une quête intérieure toute personnelle. Pouvons nous échapper à cette alternative ? Oui car il y a une troisième voie : chercher ce que Dieu pense de nous à la suite de l'affirmation de l'apôtre Paul "Celui qui me juge c'est le Seigneur".
Autrement dit, cette quête d'identité ne sera pleinement résolue ni dans l'introspection qui entraine le relativisme, ni dans le conformisme social qui nous englue dans des rôles et un statut qu'on ne doit surtout pas quitter. L'identité "ne s'obtient pas mais se reçoit" de Dieu (p. 189) car nous avons été créés en image de Dieu afin de manifester ici et maintenant cette origine divine. "Peu importe donc qui nous sommes, d'où nous venons, ce que nous avons réussi ou raté dans la vie, une gloire et une importance irréductible résident en chacun de nous. " (p. 193)
Dans la troisième partie du livre, T. Keller argumente en faveur du christianisme. La foi chrétienne a du sens et il le démontre d'abord au travers de 6 arguments "prouvant" l'existence de Dieu.
Quand on parle de preuves il faut comprendre que ce sont des arguments qui plaident en faveur de l'existence d'une transcendance qui seule peut rendre compte logiquement du fonctionnement de ce monde, hypothèse qui semble plus plausible que celle du diktat du hasard.
Ces arguments peuvent ébranler dans un premier temps les certitudes des matérialistes athées et de leurs postulats mais n'ont pas pour vocation de prouver les attributs de Dieu tels que la Bible en parle. L'auteur est convaincu que seul l'Esprit Saint est le révélateur en cette matière.
Enfin T. Keller souhaite donner un coup fatal à la méthode de la critique des formes (p. 309-312) qui s'attache à démontrer que les témoignages des évangiles ne seraient que des reconstructions tardives de la vie et de la personne de Jésus et donc peu fiables, une méthode qui a donné pléthore de thèses dans la quête du Jésus historique. A noter aussi un bon chapitre sur les nombreux arguments en faveur de l'historicité de la résurrection de Jésus.
En conclusion, un livre qui a le mérite de ne pas évacuer certaines questions qui peuvent déranger aussi bien les chrétiens que les non croyants en creusant et en cherchant les raisons profondes qui nous permettent d'affirmer telle ou telle autre vérité du christianisme tout en rendant compte des limites de la réflexion.
Je retiens cette dernière phrase dans l'épilogue du livre qui met en exergue l'impasse dans lequel se trouve une éthique humaniste qui a totalement évacué Dieu de son champ de réflexion et qui par conséquent ne peut rendre compte de l'origine de certains de ses postulats en matière de morale " [...] l'altruisme est une condition préalable à l'avènement de la raison, et non sa conséquence." (p. 338) .
Thierry Rouquet
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Une autre chronique d'un livre de Timothy Keller : Pour une vie juste et généreuse, rédigée par Marie- Noëlle Yoder