Bénir les couples homosexuels ? Enjeux du débat entre protestants
Élian Cuvillier / Charles Nicolas
Olivetan, 2016 - 15 € - 195 pages
Le titre du livre est trompeur: il est finalement peu question du débat sur la bénédiction des couples homosexuels. Mais la décision prise en mai 2015 par le Synode national de l’Église Protestante Unie de France (EPUDF) a fait des vagues dans le protestantisme, et – au-delà de la question traitée – a mis l’accent sur la question du «rapport aux écritures» entre les différents courants de pensée du protestantisme, et même au sein de l’EPUDF.
C’est cette question qui est d’abord traitée dans l’ouvrage. De telle sorte que le sous-titre Enjeux du débat entre protestants rend mieux compte que le titre du contenu de l’ouvrage.
Ce livre est une longue «disputatio» entre deux hommes, qui a duré trois mois et s’est forgée principalement sur la base d’échanges de courriels ou de courriers entre deux anciens condisciples de la Faculté de théologie d’Aix en Provence. Se retrouvant à l’occasion d’une Convention, ils ont décidé d’échanger leur point de vue sur leur foi.
Aucun des deux n’a de position extrême dans le protestantisme. Élian Cuvillier refuse le qualificatif de libéral, et s’affirme proche des thèses du luthérien Rudolph Bultmann comme de la théologie dialectique. Charles Nicolas se dit réformé orthodoxe, calviniste autant qu’évangélique. Mais la vigueur de leur long débat témoigne de la profondeur de leur divergence. À tel point que Nicolas rejette la «communion fraternelle» avec son collègue, et l’assure seulement à la fin de ses lettres de ses «sentiments cordiaux», alors que Cuvillier défend une «Église inclusive» et termine chaque courrier par une formule de salutations fraternelles.
Le conflit entre les deux débatteurs va prendre comme premier thème la naissance miraculeuse de Jésus (Jésus est-il né d’une vierge?). Plus que le mariage Gay, il s’agit pour nos deux auteurs d’une question substantielle. Peut-on se poser ici la question de la véracité des faits alors que la Bible est sans ambiguïté sur ce point?
Les débats portent principalement sur l’autorité des Écritures, leur historicité, le rôle de la morale au sein de la religion, et le périmètre de ce qui est incontournable, incontestable dans le christianisme. Peut-on séparer le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi? Suffit-il de proclamer que Jésus est le Seigneur pour entrer dans la famille des chrétiens? Libéraux et orthodoxes croient-ils au même Dieu? Qu’est ce qui sépare réellement la religion de la spiritualité?
Ces conflits ne sont pas récents: ils sont même aussi anciens que le protestantisme, et les auteurs en témoignent largement par les références qu’ils invoquent (de Calvin aux querelles du siècle dernier). La question de la bénédiction des couples de même sexe a seulement servi de catalyseur, et de détonateur dans cette nouvelle phase de tension.
Ce dialogue âpre et nerveux, respectueux mais sans concession, nous le vivons aujourd’hui au sein de nos Églises, de nos cercles amicaux et familiaux, comme plus largement de notre vie citoyenne. La plupart d’entre nous ont conscience de ne pas en maîtriser les enjeux. L’ouvrage nous donne des clefs plurielles, puisque provenant de deux théologiens en désaccord profond. Il est en cela un condensé très fidèle de tous les débats internes au protestantisme mais, au-delà, des tensions au sein des Églises chrétiennes. À l’heure en effet où les religions sont trop souvent accusées sur la base des violences du fondamentalisme djihadiste, il est particulièrement utile de revisiter les liens entre la foi et la raison au sein même du christianisme. Et après, de poursuivre le débat sur le mariage pour tous.
Alain Joubert