Plusieurs ouvrages d' Eugène Peterson ont été traduits en français qui ont contribué à faire connaitre cet auteur décédé en 2018.

Né en 1932, E. Peterson a eu une influence certaine chez bon nombre de pasteurs par sa redéfinition de la vocation pastorale qui aux Etats-Unis, mais peut être aussi ailleurs..., pouvait se confondre avec celle d'un PDG.
Il a aussi contribué parmi les évangéliques à remettre en vigueur la place de l'accompagnement spirituel et de la spiritualité de type contemplative comme ont pu le faire avant lui R. Foster et D. Millard.
 
A la lecture de ce livre on remarque assez vite que notre auteur a une formation littéraire et surtout une bonne connaissance des langues anciennes (licence en littérature et maitrise en langue sémitique avec W. Albright).
Tout en appréciant les études universitaires, E. Peterson a choisi le pastorat au sein des églises presbytériennes et pendant 30 ans il fut pasteur dans la même congrégation, dans le Maryland puis professeur de théologie spirituelle au Regent College à Vancouver.
  
 

Eugène Peterson

Editions La Clairière
2019
240 pages
17€
  
 
 
Si le titre "Cinq pierres polies... pour le travail pastoral" peut laisser croire que seuls les pasteurs sont concernés, en réalité ce livre est d'un grand profit pour tous les chrétiens car il est d'une grande profondeur spirituelle.
L'auteur a une fine analyse de l'existence humaine qu'il replace toujours sous le regard de Dieu et des textes bibliques : " Le travail pastoral prend Dame religion par la main et l'entraîne dans le monde quotidien... C'est le ministère sans uniforme." (p. 7). 
 

Cinq livres bibliques sont médités en relation avec le calendrier liturgique juif (les Megilloth) : le livre du Cantique des cantiques, Ruth, Lamentations, Ecclésiaste et enfin Esther en donnant à chacun d'eux leur dimension pastorale pour la conduite du peuple de Dieu.

Ce livre est plus qu'un traité de théologie pastorale, c'est un livre de spiritualité à l'image de ce qu'a toujours incarné E. Peterson, une confrontation honnête entre l'interpellation du texte biblique dans ce qu'il a de plus dérangeant et la réalité de l'existence humaine traversée d'épreuves, de trahisons et de questions auxquelles nous n'avons pas toujours de réponse.
Dans ces situations de fragilité la lecture d'E. Peterson du livre des Lamentations s'avère être d'une grande aide (cf. le chapitre 3).

La forme littéraire du livre en acrostiche démontre que Dieu prend très au sérieux la souffrance humaine dans toute sa réalité tout en y mettant des bornes "Le mal n'est pas inépuisable. Il n'est pas infini. Il ne mérite pas qu'on lui consacre toute une vie d'attention." (p. 115). Il est vrai que notre culture moderne offre de nombreuses alternatives au travail pastoral pour traiter la souffrance ou pour l'éviter, ce que l'auteur appelle "le triomphe de la thérapeutique" (p. 106). L'accompagnement pastoral accoudé à la méditation du livre des lamentations donnera aussi bien à l'accompagnant qu'à l'accompagné plus de sérénité et de sagesse spirituelle qu'une réponse rapide ou de l'apitoiement. 
 
 
Plutôt que de proposer le Jésus-solution, la réponse pastorale sera de temps à autre de dire "non" aux folles attentes et fantasmes de toutes sortes qui se résument bien souvent à des demandes de miracles et de réponses immédiates qui n'engagent pas dans un chemin plus long et difficile d'obéissance et de maturité (cf. le chapitre 4 sur le livre de l'Ecclésiaste : "Le travail pastoral du refus").
Le danger serait de succomber à toutes ces attentes qui font de la foi une sorte de commerce des bénédictions spirituelles. On pense bien sûr à la dérive biblique de la simonie (Act 8, 18-24) et qui au moyen âge s'était étendue au trafic des charges ecclésiastiques. Refus nécessaire car dans ce marché du religieux il y a une forte concurrence et "il est inévitable qu'il y ait une certaine corrélation entre ce qui est désiré et ce qui est proposé" (p. 142).
 
L'auteur assimile les spiritualités chrétiennes où l'on flatte l'égo, où l'on cherche uniquement des expériences, au culte de Baal, une spiritualité néo-baaliste : "Cette attente n'est que du baalisme redivivus, un culte adapté aux exigences émotionnelles et spirituelles de celui qui le rend." (p. 170).
 
   
 
 
Personnellement j'ai trouvé l'analyse du livre d'Esther et le parallèle avec la situation de l'Eglise en contexte hostile très pertinent et encourageant (cf. le chapitre 5 "Le travail pastoral d'édification de la communauté"). Le livre biblique d'Esther " célèbre le miracle éternel de la survie du peuple de Dieu" (p. 183). Mais ne soyons pas naïfs, sachons discerner au sein de ce monde le mal dans la figure d'Haman "Une guerre [c'est l'auteur qui souligne] est en cours, c'est là un fait biblique depuis la Genèse. 'Je mettrai inimitié'..." (p. 200).
 
Quant aux serviteurs de l'évangile, que nous sommes tous, ils doivent comme Mardochée être sagace et courageux tout en acceptant de rester dans l'ombre de la grande histoire, dans l'humilité du vrai serviteur. La preuve, ce n'est pas lui qui a donné le nom à ce merveilleux livre mais c'est la personne qu'il a lui même protégée, nourrie, conseillée, élevée.
 
 

Pour conclure, un livre passionnant qui nous place devant cette alternative que certains trouveront peut être trop simplificatrice mais qui correspond à la dérive du leadership de type entrepreneurial : soit revêtir l'armure de Saül, celle de notre culture avec les moyens d'investigation qui sont les siens et qui ont leurs limites ou bien nous agenouiller comme David "au bord du torrent qu'est l'Ecriture" pour y prendre ces 5 pierres polies "qui n'ont rien de superflu, rien de décoratifs" (p. 218) mais que Dieu a choisies pour nous préparer à accomplir notre vocation.

 

Ces cinq pierres étant la méditation de ces cinq livres bibliques que l'on peut étendre en définitive à toute l'Ecriture.  

 

Thierry Rouquet