
Raoul Allier (1862-1939)
Dans les milieux protestants, quand on parle de séparation des Eglises et de l’Etat, on pense tout naturellement à Raoul Allier. Mais le parcours de cet être exceptionnel ne se résume pas à son action politique dans ce domaine.
En effet, comme le montre le pasteur et professeur baptiste Daniel Reivax dans cet ouvrage fouillé et bien documenté, Raoul Allier est un homme aux multiples facettes, dont la foi a dirigé toutes les décisions qu’il a pu prendre pendant son existence tout entière.
Dès sa plus tendre enfance, la Bible fait partie intégrante de la vie de Raoul Scipion Philippe Allier. Le petit cévenol de Vauvert est entouré de femmes protestantes fortes et exemplaires à la foi profonde et vivante : ses deux grand-mères, sa grand-tante et sa mère lui apprennent très tôt à lire les Ecritures Saintes et l’accompagnent pas à pas sur le chemin de la foi.
Raoul Allier (1862-1939), Daniel Reivax,
L’Harmattan, Paris 2023, 392 p. 41 €
Inscrit en classe de terminale à Montpellier, il découvre sa vocation : il sera philosophe et évangéliste. Après son baccalauréat, il monte à Paris pour continuer ses études à l’école normale supérieure de la rue d’Ulm. Pour ce jeune provincial, c’est un grand changement qui le fait sortir du milieu protégé dans lequel il a été élevé. C’est en effet là qu’il découvre la réalité du monde autour de lui, avec tout son cortège d’inégalités et de misère. Aidé par quelques-uns de ses condisciples, il fonde une société de secours pour venir en aide à ses contemporains démunis de tout. Il se rend cependant vite compte que malgré toute leur bonne volonté, leur action ne peut constituer qu’une toute petite goutte d’eau dans un océan de besoins. Pour que les choses changent, il faut qu’il y ait un bouleversement total des structures de la société. Sa rencontre avec le pasteur Tommy Fallot constitue pour lui à la fois un déclic et une confirmation de ce qu’il pressentait plus ou moins confusément jusqu’ici. Il décide alors de quitter les lieux intellectuels protestants qu’il fréquentait jusqu’alors et s’engage à fond dans les activités spirituelles et sociales de la chapelle Taitbout.
Daniel Reivax,
Après ses études, Raoul Allier continue sur sa lancée. Il est désormais convaincu que « le protestantisme se doit d’être acteur de son temps en osant rentrer dans le débat qu’il soit politique, social ou religieux, faisant toujours preuve d’analyse et de rigueur intellectuelle avec une hauteur de vue lui interdisant tout sectarisme. La pensée protestante demeure une pensée libre en perpétuelle évolution et non l’apanage d’un parti ou d’un groupe, quel qu’il soit, au risque de se brider soi-même. » (p.139)
Ces convictions se reflèteront par la suite dans son parcours professionnel multiforme et ce jusqu’à son décès en Bretagne deux mois après la déclaration de la 2è guerre mondiale. Enseignant à la faculté de théologie protestante de Montauban, puis à la faculté de théologie de Paris dont il deviendra ensuite le doyen, il est aussi conférencier, prédicateur, et co-fondateur d’une association chrétienne d’étudiants. Malgré les souffrances et les deuils il n’hésite pas à s’engager de toutes ses forces dans la défense de toutes sortes de causes qui lui semblent essentielles : l’affaire Dreyfus, la loi de 1905, la Société des missions évangéliques, l’accueil et l’accompagnement des étudiants étrangers…
Dans ce livre passionnant et foisonnant de renseignements à la fois sur Raoul Allier, les personnalités qui l’ont influencé, et l’époque dans laquelle il a vécu, l’auteur décrit avec maints détails un homme de conviction et de foi, pétri d’humanité, combatif, résilient dans les épreuves, et engagé avec pugnacité au service des plus démunis.
C’est ainsi qu’on peut dire avec l’auteur qu’ « ami autant de l’analyse que de la synthèse, Raoul Allier a vraiment contribué à la réintégration des Protestants dans le débat de son époque, en tentant de mobiliser l’opinion publique par le moyen de la presse lors de l’affaire Dreyfus et face au projet de séparation des Eglises et de l’Etat. Tous ces éléments font que sa vie résume des faits marquants de l’histoire de la France au début du XXe siècle à travers ces évènements clés. » (p.357)
Anniel Hatton