La doctrine de l ’inspiration des Écritures, sujet d ’un livre
Faisant suite aux Rendez-vous de la pensée protestante qui se sont déroulés les 26 et 27 Juin 2020 à Paris et qui avaient pour thème "L'autorité des Ecritures pour aujourd'hui", nous vous proposons cette recension sur le même thème.
L'auteur, Docteur en théologie, aborde dans cet ouvrage un sujet fondamental, qui plus est en théologie protestante, quand on sait la prépondérance de la Bible chez les Réformateurs. Le titre est en soi annonciateur de la thèse qui sera développée tout au long du livre : "Bible et Parole de Dieu". En désaxant ce petit "et", on comprend la nécessité d'une réflexion sur l'articulation entre le texte biblique et la notion de parole de Dieu, sans pour autant identifier les deux termes de l'expression comme une égalité allant de soi. C'est toute la question de la doctrine de l'inspiration des Ecritures qui occupe notre auteur.
Dans l'avant propos, la thèse est clairement affichée sous forme de question/réponse : "La Bible est-elle parole de Dieu ? Non ... mais elle est notre seul accès à la parole de Dieu" (p. 3). Cette thèse repose selon l'auteur sur le fait qu'il "n'existe qu'un critère de ce qui est parole de Dieu ou ne l'est pas : ce que Dieu nous dit en Jésus-Christ de Nazareth" (p. 3). L'auteur précise que "Si Jésus est bien la parole de Dieu faite chair, alors la Bible, elle, ne l'est pas [...] mais en sens inverse, nous avons accès à LA parole de Dieu qu'est Jésus-Christ seulement à travers la Bible." (p. 3). Il faut comprendre le "seulement" non pas comme exclusif, mais plutôt comme un moyen privilégié d'accès à la parole de Dieu, puisque Dieu peut parler par de nombreux autres textes, religieux ou non (p. 105). Ces deux propositions seront reprises et développées respectivement dans la première et deuxième partie du livre.
Jean-Denis Kraege,
Olivétan,
2020
13.00€
La troisième partie est consacrée au statut des écrits de l'Ancien Testament. L'auteur estime que le schéma classique du rapport entre l'A.T. et le N.T. "promesse-accomplissement" n'est pas fondé, parce que la théologie de la grâce telle qu'elle est définie par certains textes du N.T. (pas tout le N.T., voir notamment certains textes de l'épître de Jacques) ne se trouve dans l'A.T. que de façon confuse et mélangée à la théologie de la rétribution (pp. 87ss). L'auteur opte plutôt pour la thèse de la "rupture" entre les deux Testaments, c'est d'ailleurs l'un des titres de cette partie. S'il y a continuité entre les deux Testaments, ce n'est pas une continuité théologique, mais une continuité culturelle : Jésus est Juif et son monde est celui de la culture juive, lui-même et les auteurs du N.T. citent abondamment les livres de la Bible hébraïque, mais le lien s'arrête là, car il y a selon l'auteur une incompatibilité entre la théologie de la rétribution dans l'A.T. et celle de la grâce du N.T.
Dès lors, peut-on dire que l'Ancien Testament est parole de Dieu, s'interroge l'auteur ? Réponse : "On ne peut globalement dire que l'A.T. est parole de Dieu" (p. 108). Si c'est le même Dieu qui occupe la préoccupation des auteurs des deux Testaments, à la vue de leurs écrits respectifs soit "il a changé de tactique avec Jésus" soit - et c'est plutôt cette opinion que partage l'auteur - "le Dieu de grâce a été de manière générale mal compris par les auteurs de la Bible hébraïque" (p. 108).
Le livre se conclut par une réflexion sur le Sola scriptura des Réformateurs. La compréhension de cette expression peut prendre deux directions : soit on identifie toutes les Ecritures des 66 livres de la Bible à la Parole de Dieu (selon le Canon des Bibles protestantes), c'est la position des théologiens évangéliques ; soit on discerne un Canon dans le Canon par le filtre de la théologie de la grâce, alors tout texte qui semble contredire cette théologie ne peut être considéré comme parole de Dieu. C'est cette dernière position que l'auteur défend et qu'il rattache à Luther.
Quelques remarques générales s'imposent :
1) Le style du livre : je dois reconnaître que j'ai trouvé certains passages au goût indigeste de militance : la Bible serait truffée de "contradictions", "ambiguïtés", "incohérences", des mots qui reviennent souvent. Ceci dit, l'auteur a le mérite de clarifier sa position, et chaque fois qu'il affirme une idée, il s'impose d'aller au bout de son propos en exposant les prémisses de sa pensée.
2) Des affirmations péremptoires qui ne sont pas toujours étayées : 2 Tim 3, 16 ne nous apprendrait "rien" sur l'inspiration de l'A.T. (p. 16) ; "Paul et Jacques ne sont pas d'accord sur la nécessité ou non d'un lien entre foi et œuvres" (pp. 22-23) ; puisque la Bible n'est qu'en partie la parole de Dieu, l'identifier à cette parole, c'est en faire une idole et cette identification "n'est rien d'autre qu'une manifestation de notre péché." (p. 13) ; "on sait que le dromadaire n'a été domestiqué que vers le Xème siècle avant J.C." (p. 31) ; au sujet des tenants de l'inspiration de la Bible défendue par la théologie évangélique, l'auteur les case parmi ceux qui "rejettent cette condition du chercheur de vérité" (p. 118), etc.
3) L'amalgame entre statut des Ecritures et herméneutique : l'auteur croit qu'une conception des Ecritures comme inspirées conduit automatiquement à prendre la Bible à la lettre et au refus d'interpréter selon les règles classiques de l'herméneutique et de l'exégèse, à "mettre la raison entre parenthèses" (p. 41). On pourrait affirmer exactement l'inverse : le statut conféré aux Ecritures comme paroles entièrement inspirées ne peut que conduire les théologiens qui les étudient avec ce présupposé, à utiliser toutes les ressources de l'intelligence que Dieu met à leur disposition.
4) La curieux recours à Michel Onfray dont plusieurs auteurs ont démontré les incohérences de sa critique du christianisme dans son livre "Traité d'athéologie" (pp. 31-32).
5) La solution de sélectionner certains textes comme inspirés par rapport à d'autres, le "Canon dans le Canon" pour rendre compte de certaines incohérences dans la Bible, aurait été "mise en œuvre par Martin Luther" (p. 114). Il est vrai que Luther dénigrait l'épître de Jacques, mais il est difficile de lui prêter la thèse du Canon dans le Canon ; Luther se bat avec la dialectique Loi/Evangile pour interpréter les textes et leur accorder plus ou moins de valeur, mais il le fait toujours dans et à partir de la Bible. Reconnaissons que certains textes du Réformateur pourraient induire la thèse du "Canon dans le Canon", mais on ne peut pas dire qu'il l'ait défendue [1]. Il est toujours délicat de chercher des ascendants de nos thèses théologiques dans l'histoire de l'Eglise pour donner caution à nos propres thèses, qu'on soit évangélique ou pas d'ailleurs : "La théologie libérale depuis le Romantisme, caresse l'image d'un Luther qui lui aurait ouvert la voie : il aurait émancipé la conscience individuelle, fait triompher la subjectivité, dégagé la liberté chrétienne des entraves de tous les dogmes" [2]. A côté de ses excès de langage, Luther a toujours brandi la Bible, et toute la Bible, contre ses nombreux détracteurs : "Mes chers théologiens se sont affranchis de tout travail pénible, ils laissent tranquillement la Bible de côté... Comment pourrions-nous être heureux quand nous agissons de façon si contraire au bon sens et refoulons si loin en arrière la Bible, la sainte parole de Dieu ?" [3]
6) La tâche de l'Eglise ne devrait pas être "nécessairement de se référer aux textes bibliques, mais à Jésus-Christ... Et plutôt que de partir du texte, elle fera bien de partir des questions que ses contemporains se posent... une exigence bien plus grande que lorsqu'elle comprend son rôle comme interprétatrice de la Bible." (p. 122). Certes, l'exigence de rejoindre nos contemporains est fondamentale, mais pourquoi serait-il nécessaire pour ce faire d'opposer interprétation de la Bible et pertinence du texte ?
7) Le subjectivisme assumé : le lecteur est seul juge pour déterminer si un texte est parole de Dieu ou pas : "La question est alors de déterminer si je dois me laisser remettre en question par ce texte, parce qu'il est parole de Dieu à moi adressée ou si je suis en droit de considérer ce passage comme légitimement incompatible avec la vraie manière de concevoir l'existence." (p. 39). Cette approche est assez récente dans l'histoire de la théologie, elle s'inscrit dans la ligne de la philosophie d'Emmanuel Kant " La religion comprise dans les limites de la seule raison" paru en 1793.
En conclusion :
1) Ce livre a le mérite de poser à nouveaux frais et de façon claire - cela a été fait dans d'autres ouvrages, mais moins accessibles au grand public, car plus techniques - la problématique de la doctrine de l'inspiration des Ecritures : comment une parole venant de Dieu peut-elle trouver dans le langage des hommes un vecteur absolument fidèle, sans être de quelque façon que ce soit déformée, dénaturée ? Tous les lecteurs ne partageront pas les thèses et conclusions de l'auteur, cependant ce livre leur donnera matière à réflexion pour approfondir ce sujet.
2) Une approche de ce qu'on nomme communément la théologie libérale, et du coup ce qui la différencie de la théologie évangélique, enseignée par exemple dans les Facultés de Vaux/Seine ou celle réformée d'Aix-en-Provence. Même si ces qualificatifs sont imparfaits, ils permettent à la lumière de ce livre de discerner où se situe la ligne de démarcation entre ces deux mouvements de pensée qui traversent l'ensemble des Eglises dites historiques, luthéro-réformée, anglicane et catholique, et qu'on ne peut réduire à quelques Unions d'Eglises.
3) Par les nombreuses questions posées par l'auteur vis-à-vis de certains passages bibliques, ce livre aidera chaque lecteur de la Bible à être plus attentif aux difficultés de ces textes et s'il croit à la cohérence globale de la Bible, à être plus conséquent avec son interprétation de ces passages en lien avec le reste de la Bible.
4) L'auteur nous interpelle à juste titre sur la question de la cohérence globale de la Bible, notamment du rapport théologique entre l'A.T. et le N.T. à partir des notions de rétribution et de grâce.
Thierry Rouquet
Notes :
[1] " Ainsi l'éventail va d'une identification entre Bible et Parole de Dieu jusqu'à la distinction, en passant par une conception désignant la Parole de Dieu comme le contenu de la Bible sans que ce contenu soit identifié avec la forme écrite." M. Lienhard, Martin Luther, Labor & Fides, 19913, pp. 326-327
[2] H. Blocher, art. "Luther et la Bible" in Dieu parle, Kerygma, 1984, p. 128
[3] M. Luther, Oeuvres, A la noblesse chrétienne... , Labor & Fides, 1966, Tome 2, pp. 144-145.
Retrouvez ici les précédents articles du blog de la Librairie 7ici :
- L'ADN d'une église qui grandit, éditions BLF, chroniqué par Brigitte Evrard
- Femme de pasteur, comment concilier ministère pastoral et famille : Je suis mariée à un berger, éditions Cruciforme, chroniqué par Hélène Lasnes.
- Devenir un leader émotionnellement sain, éditions Farel, chroniqué par Thierry Rouquet