« Jonas ! L’histoire extraordinaire d‘un rêve. »






La maison d’édition Olivetan publie ici un livre étonnant : Celui de Dominique Bonnet, neuro-psychiatre et psychanalyste à la retraite, dont la carrière a vu la publication de nombreux articles notamment sur la question du rêve.

 

Le titre tout d’abord commence par m’étonner… Jonas, un rêve ? Mon sang de pasteure évangélique ne fait qu’un tour. Voilà d’emblée une affirmation forte qui va à l’encontre de ce que l’on a l’habitude d’appeler l’autorité des écritures. Mais ce n’est pas forcément pour me déplaire. En tant que femme pasteure, n’ai-je pas moi-même fait fi de ce que d’aucuns appellent le sacro-saint "ordre créationnel" ? Ainsi, malgré l’absence de compétences particulières dans le domaine psychanalytique, je me suis laissé tenter par la lecture et la recension de ce livre, de ce Jonas ! L’histoire extraordinaire d’un rêve.

 

Autour de 5 chapitres, l’auteur redessine pour nous la compréhension du texte biblique et avec un art consommé, il extrait un sens inédit des innombrables représentations que l’histoire, la littérature et la peinture n’ont eu de cesse de construire pendant plusieurs siècles, autour de ce personnage biblique. D’ailleurs, il parsème son ouvrage de quelques-unes de ces nombreuses représentations que l’iconographie juive, chrétienne et musulmane ont façonné tout au long des âges. Il offre également au lecteur un florilège de textes anciens inédits! Un vrai régal pour les yeux et un défi pour l’intelligence qui refuserait de se laisser bousculer.


 

Ainsi, au chapitre un, l’auteur nous emmène à travers les interprétations des conteurs des temps passés, perses et musulmans ou sages rabbiniques qui entourent le texte primitif d’enluminures midrashiques diverses, révélant ainsi combien facilement l’imaginaire s’est emparé du texte. Sont ainsi passés en revue la faute du prophète de même que les modalités du rejet de Jonas, ainsi que toutes ses contradictions.

 

Dans un deuxième chapitre, l’auteur continue de creuser son sujet et analyse les cinq termes qui sont au cœur de cette histoire, au travers de l’évolution de leur compréhension tout au long des siècles (Sont évoqués ici les Pères de l’église et leurs lectures du texte tout comme les traditions juives et les linguistes modernes). Tout d’abord, l’auteur creuse le nom du prophète lui-même, puis celui de la ville Ninive, le poisson, le ricin et enfin la destination Tarchich. On découvre là des choses étonnantes que je ne souhaite pas toutes "spoiler" ici… Quelques éléments néanmoins pour vous mettre l’eau à la bouche : on y apprend par exemple que la baleine n’en a pas toujours été une, tout du moins, jusqu’au 17ème siècle. Que le ricin n’en était certainement pas un non plus ; voire même et c’est encore plus étonnant, que le prophète n’était peut-être pas… un homme, le nom hébraïque est porté en Israël aujourd’hui bien davantage par des filles que par des garçons… Etc.


 

Le chapitre trois nous invite à une appropriation de l’histoire de Jonas dans un contexte juif tout en faisant le point sur les différentes appropriations qui ont déjà eu lieu et les distorsions ou transformations que lui imprimèrent successivement le Christianisme, l’Islam (qui considère la tombe de Jonas comme un lieu saint), mais aussi la réécriture enfantine finale.


 

Dans le chapitre quatre (peut-être le plus difficile à lire pour le lecteur non initié au vocabulaire et à l’univers de la psychanalyse), l’auteur propose à son lecteur de découvrir "les racines de l’histoire de Jonas". Il explique que si cette histoire a tant enchanté conteurs, sages, peintres et auteurs de tous âges, c’est parce qu’elle contient "tout un monde de symboles", un langage qui "fonctionne dans l’ombre" et qui concerne chaque être humain, langage que l’auteur appelle "le rêve". Si les termes se font ici plus spécifiques et psychanalytiques, le texte reste néanmoins très compréhensible et on est étonné de constater que les rapprochements entre le texte et les traditionnels découpages en stades du développement psycho-affectif de l’enfant sont porteurs d’un éclairage réel sur la vie humaine et son accomplissement.

 

Finalement dans un cinquième et dernier chapitre, l’auteur s’attache à la fonction ludique et créatrice du rêve pour le rêveur, fonction essentielle et profondément intime, donc intraduisible, indicible. Et pourtant lui-même s’autorise à retranscrire ici en le commentant le récit fictif ou peut-être rêvé, d’un dialogue entre une mère et son enfant à propos d’un gros poisson, de beaucoup d’eau, d’un enfant avalé et vomi et des grosses colères d’un papa… Le livre s’achève sur un ultime coup de projecteur jeté sur la fonction prophétique du rêve avant de nous offrir une ancienne traduction du texte de Jonas, œuvre de Jean Alexandre.


Pour conclure et pour parler en vérité, la lecture de ce livre a été rude pour moi. Pendant plusieurs mois, sans cesse, je l’ai pris, ouvert et reposé avant de le reprendre tout à nouveau. Ce regard décalé et innovant sur un texte archi-connu m’a à la fois gênée et fascinée. Les derniers mots de la quatrième de couverture  me sont alors revenus à l’esprit: « Au croisement de l’histoire des religions, de la théologie et de la psychanalyse, voilà un Jonas qui n’en finit pas de nous étonner… et de nous interpeler. » Je dois ici reconnaitre le bien-fondé de cette affirmation : Plus jamais je ne lirai ce texte biblique de la même manière et je le dois à ce livre-ci ! Un grand merci à l’auteur !

Joëlle Razana