Contre le cléricalisme. Retour à l❜Evangile,
Autant dire de suite que ce livre s❜inscrit dans un courant que l❜on pourrait qualifier de ''réformiste'' de l❜Eglise catholique en France et qui s❜emploie à faire bouger les lignes au sein du catholicisme. Le titre pose d❜emblée la problématique : revoir ce qui cloche dans la façon dont l❜Eglise catholique exerce sa mission, plus particulièrement, la problématique du cléricalisme et de l❜exercice de l❜autorité que l❜auteur entend mettre en question à la lumière des textes bibliques. L❜auteur se défend de fustiger son église et de critiquer directement certaines personnes ou œuvres en son sein (p. 11), cependant il tient à dénoncer les dérives potentiellement présentes dans la structure hiérarchique de l❜église catholique au regard des principes évangéliques (p. 12).
Contre le cléricalisme. Retour à l❜Evangile,
Yves-Marie Blanchard,Salvator, 2023. 16.00 €
Y-M. B. est un très bon bibliste qui lit dans le texte grec pour déceler dans nos traductions, les contresens ou certains détails qui échappent aux lecteurs et qui permettent de contrecarrer une lecture orientée. C❜est ainsi que l❜auteur souligne en Gal 3, 28 les termes grecs utilisés par Paul qu❜il conviendrait de traduire par ''masculin/féminin'' (sans l❜article contrairement aux 2 paires précédentes) plutôt que homme/femme pour souligner qu❜il ne saurait être question de '' [...] maintenir, encourager toute forme d❜opposition ou rivalité comme autant de forces concurrentes'' (p. 62) qui peuvent justifier les abus de pouvoir et donc le cléricalisme. Y-M. B. analyse aussi de près les titres et qualificatifs donnés par Paul à des femmes dans ses salutations en Rom 16 pour dresser un portrait de Paul beaucoup moins misogyne qu❜on l❜a dit ; voir aussi son exégèse de 1 cor 11 (pp. 88-90). Enfin l❜auteur décèle dans l❜exemplarité du lavement des pieds par Jésus en Jean 13 ''la charte johannique d❜une vie ecclésiale apaisée, en tout cas à l❜abri des conflits et autres abus de pouvoir [...]'' (p. 88)
Yves-Marie Blanchard est un bibliste bien connu qui a publié de nombreuses études sur le N.T.
notamment su l❜évangile de Jean et qui enseigne à l❜Institut Catholique de Paris.
D❜un point de vue général, l❜auteur souhaiterait plus de réserve concernant l❜appellation ''mon père'' adressée aux religieux, prêtres et évêques : '' [...] il ne me parait pas exagéré de dénoncer l❜usage trop fréquent des titres ''pères'' ou ''mon père'' à l❜égard d❜ecclésiastiques, forcément exposés au risque de cultiver tant le paternalisme que le cléricalisme'' (p. 51). Au chapitre 5, Y-M. B. souligne les recommandations de Jésus dans les évangiles ''devenir comme des enfants'' ou ''qui est le plus grand'', il s❜attarde notamment aux béatitudes car ''il ne suffit pas de prêcher au monde la pauvreté spirituelle [...] sans d❜abord appliquer ces principes à tous les domaines de la vie ecclésiale'' (p. 72, c❜est nous qui soulignons). La figure de l❜apôtre Pierre et la vocation que lui adresse Jésus en Jean 21, 15ss ''paix mes brebis'' sont mises en parallèle avec la parabole du bon berger (Jean 10) et font l❜objet d❜une analyse relativisant l❜exclusivité donnée à cet apôtre, sujet au combien sensible entre protestants et catholiques : '' [...] si la charge du berger est transmissible à un personnage humain aussi fragile que Simon Pierre, en revanche, la figure de la porte s❜applique à Jésus seul comme passage obligé des brebis'' (p. 98). Plus loin l❜auteur déconstruit une conception de l❜autorité du berger qui ne reposerait que sur un titre, un mandat qui ne souffrirait aucune contestation '' [...] l❜autorité naturelle du berger non seulement se fonde sur sa compétence [...] mais surtout repose sur la qualité des liens personnels entretenus avec chacune des brebis.'' (p. 100).
En conclusion : un livre rempli d❜analyses fines des textes bibliques, n❜oublions pas que Y-M. B. est exégète, sur un sujet d❜actualité aussi bien au sein de l❜église catholique que dans nos communautés protestantes évangéliques. On peut aussi souligner que l❜auteur, tout en ayant un regard critique sur son église ne cède pas pour autant aux facilités des caricatures et des amalgames. Sans fermer les yeux sur les dérives réelles de l❜autoritarisme avec les conséquences désastreuses que nous connaissons, Y-M. B. sait que cette barque qu❜est l❜Eglise est remplie d❜hommes et de femmes fragiles, rachetés par Grâce.
Thierry Rouquet