Dans cet ouvrage, Didier Fievet commence par une image choc en évoquant l'histoire du radeau de la Méduse " Notre monde est en train de devenir un radeau de la Méduse géant. Le naufrage est consommé... le plus grand nombre dérive au gré des flots du désespoir." (p.11). Puis dans son préambule, l'auteur pose un principe herméneutique qu'il entend assumer dans tout son développement : les faits rapportés dans la Bible sont avant tout "porteurs de vérité, même s'ils ne relèvent que de la seule fiction narrative." (p.16) et de fait une interprétation historico-critique s'impose à leur égard, tenant compte du contexte culturel et historique des auteurs bibliques, notamment leur compréhension du monde, de leur environnement et de Dieu. .

Ainsi l'histoire du peuple hébreu telle qu'elle nous est rapportée dans le livre de l'Exode "est bien évidemment romancée... sa rédaction relève d'une large part d'une revendication nationaliste et identitaire." (p.87) ce qui n'ôte rien au fait que ce récit exprime la foi en un "Dieu qui écoute, accompagne et libère, dont la puissance libératrice se dit ici au travers... de fléaux écologiques ! (p.88). Il faut comprendre ce qui fait sens, que les faits soient fantasmés ou non. Ainsi pour ce qui est du récit des dix plaies "On peut le formuler à rebours : des dérèglements climatiques et naturels sont lus par les uns comme une force de libération à l'œuvre et par les autres comme une occasion d'obstination" (p.88).

 

Bible et écologie

Questions croisées"

Didier Fievet, pasteur et théologien

préface d'Elian Cuvillier, professeur de N.T. à l'Institut Protestant de Théologie (Faculté de Montpellier).

éditions Olivétan, collection "Comment faire..."2019

160 pages

16 €

 

 

L'auteur n'a pas la prétention d'établir "une doctrine prétendument agréée par le ciel" concernant l'écologie, ni même tirer des consignes ou des principes "Car Dieu nous confie le monde pour y agir avec intelligence et bonté, pas pour y appliquer des consignes..." (p.17). Mais il ne faudrait pas déduire pour autant qu'il récuse toutes formes d'engagement bien au contraire, des engagements courageux, oui, dans la mesure où ceux-ci ne se transforment pas en idéologies idolâtres. Chaque chapitre (sauf le dernier) se termine par un résumé des thèses qui ont été développées et qui s'intitule "En un mot comme en cent" puis par une partie grisée nommée "Perspectives" qui invitent à prolonger la réflexion et à prendre un peu de hauteur. 

Les chapitres 1 à 7 partent d'une exégèse des premiers chapitres du livre de la genèse parfois assez déroutante, notamment par le sens donné aux lettres hébraïques : le récit commence avec le mot Berechit dont la première lettre du mot (Beth) n'est que la seconde dans l'alphabet hébreu, ce qui laisse entendre qu'avant le dit "commencement" de la création il y avait bien quelque chose de même qu'avant ce Beth il y a le aleph, première lettre de l'alphabet hébreu. Ainsi le chaos initial, qui correspond au tohubohu et qui apparait avant le récit créationel des versets 3 et suivants n'est pas la création en soi mais la nature informelle qui demande à être dite, structurée, culturée comme elle le sera dans les versets suivants. 

  

D'emblée, l'auteur définit le récit de la création non pas comme un récit qui chercherait à répondre à la question de l'origine du monde, il n'est pas une cosmogénèse, "mais bien plutôt à ce que nous avons à retenir pour l'habiter" (p.21), d'ailleurs l'étymologie du mot écologie avec son radical oikos en grec = maison n'irait elle pas aussi dans ce sens ? Un autre point important souligné par l'auteur est la place prépondérante de la parole dans ce récit, elle "fonde un espace de vie" en séparant puis en comblant elle "fait advenir la chose en l'extirpant d'un magma anonyme "(pp.23-24).  

Autrement dit, le tohubohu originel demande à être ordonné et c'est cette parole qui l'accomplit et qui permet de faire advenir cette nature en création car pour l'auteur il ne faut surtout pas confondre nature et création. Qu'est-ce que la nature ? celle-ci relève de la biologie, il y a en elle du déterminisme, de l'obstination, il faut la désacraliser, or les religions parfois le christianisme lui même font tout le contraire, y compris les nouveaux prophètes de l'écologie qui réinvente un salut par les œuvres en culpabilisant et en étant doctrinaires. 

D'autre part, qu'est-ce que la création ? elle est culture, actions des hommes qui s'efforcent soit de corriger cette nature ou malheureusement d'amplifier sa cruauté, sa force brute et sauvage qui l'anime "La création est de l'ordre de Dieu - non de la nature - car Dieu le premier met cette nature en paroles. Il lui adresse une vocation, il lui confère du même coup une dignité intangible. Et du même mouvement, il appelle aussi l'humain à y ternir sa place, libre et responsable. Libre par rapport aux déterminismes stricts : la vie humaine excède sa seule trajectoire biologique" (p.143). L'auteur a pris soin de tempérer une trop grande opposition entre nature et création, il faut distinguer sans séparer et cette distinction "est fondamentale de la réflexion éthique et écologique" (p.41).  

La thèse fondamentale est donc que la création relève de la culture et non pas de la nature et qu'à ce titre l'homme peut et doit intervenir sur la nature certes avec sagesse mais sans être contraint de rejeter toute technique, même si celle-ci est fermement critiquée par l'auteur en inscrivant sa pensée dans l'œuvre de Jacques Ellul.  

  

 

 

 

Les chapitres 8 à 10 sont consacrés à Jésus, Paul et l'apocalypse. On y trouve une lecture captivante du jeune homme riche où la question posée à Jésus par cet homme " Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle? " devient un questionnement éthique pour nous désencombrer de nous mêmes afin de mener une vie sobre. Ainsi la réponse de Jésus aux apôtres "C'est impossible pour les humains" confirme bien que " De COP en COP, de traités en traites, la condition écologique de la terre ne cesse de se dégrader" mais il ne faut surtout pas oublier la suite du récit car Jésus dit aussi qu'il y a du possible avec Dieu (pp.97-98). On peut regretter que le chapitre 8 de l'épitre aux romains ne soit pas plus exploité même s'il est effleuré dans quelques pages, l'auteur ayant fait le choix de s'attarder sur le récit du naufrage de Paul en Acte 27, 13-44 pour y puiser des leçons de solidarité en matière écologique et la justification d'un savoir technique pour mettre en œuvre des mesures concrètes. Quant à l'Apocalypse, il faut y voir non pas un texte écrit dans un temps de persécution mais plutôt dans un temps de prospérité ce qui nous la rend d'autant plus actuelle (en tous les cas pour nos pays dits développés) : une église endormie, anesthésiée par le confort et le consumérisme.  

Le chapitre 11 conclut par quelques mises en garde : ne sacralisons pas la nature comme s'il fallait revenir à un Eden perdu, ce qui ferait tomber l'écologie dans le piège de l'idolâtrie ; n'oublions pas que l'écologie peut aussi servir à blanchir l'argent en le faisant devenir vert "Aujourd'hui par une sordide capacité d'adaptation, l'idolâtrie de l'argent se pare de vert" (p. 140). L'écologie doit donc aller de pair avec une sensibilisation sur la question de la justice sociale "parce que la crise environnementale tient d'abord à une économie qui du profit a fait un dieu." (p.140) 

 

Chacun trouvera dans ce livre matière à réflexion, c'est évident. D'autres seront interrogés par certaines propositions théologiques originales comme cette interprétation du concept de justice de Dieu et de son appropriation subjective par le croyant chez Paul : il s'agit pour l'auteur d'une "justesse", comme on dit d'un instrument qui "joue juste", c'est à dire d'une "vérité dans les relations" avec Dieu, avec les autres et in fine avec soi, "c'est la qualité qui permet à l'humain de se révéler comme humain, tel qu'il est" (p.108). Chacun appréciera l'originalité du propos ou peut être son hardiesse. 


Thierry Rouquet