Voici un bon livre de théologie dont le contenu n'a rien de spéculatif, bien au contraire.

L'auteur, N.T. Wright, enseignant-chercheur en Nouveau Testament à l'université de St Andrews en Grande Bretagne, nous livre ici une solide réflexion sur la nature de notre espérance : " Qu'attendons-nous ? " et surtout " qu'allons-nous faire en attendant ? " (p. 9). Autrement dit, quel est le lien entre l'espérance chrétienne en la résurrection et notre vie sur terre ? Pourquoi et comment notre foi en la résurrection et au retour de Jésus Christ peut changer quelque chose dans la façon dont je vis la foi aujourd'hui dans le monde où Dieu nous a placé ?




Surpris par l'espérance

N.T Wright

Excelsis

440 pages

2019

24€



C'est un livre d'une grande richesse théologique, on peut lire et relire certains de ces chapitres et y puiser toujours quelques perles et exhortations. Il faut le dire de suite, ce livre est d'une lecture assez exigeante mais sans être hermétique. Le lecteur ne doit pas s'arrêter dès la première difficulté ou le premier chapitre en se décourageant et en se disant "c'est pas pour moi, merci bien...".

Il y a des vérités développées dans certains chapitres qui peuvent alimenter une saine réflexion et surtout une éthique et des actions concrètes pour que le lecteur ne s'arrête pas en si bonne compagnie.
 


Un des leitmotiv du livre est que notre espérance, depuis que Christ est ressuscité, n'est pas "d'aller au ciel" et vivre sur un nuage avec une âme désincarnée mais bien plutôt dans les nouveaux cieux et la nouvelle terre dans un vrai corps certes glorifié, mais un corps.

L'auteur démontre avec brio - car il est aussi spécialiste du christianisme primitif - que la nouveauté du  christianisme par rapport à la doctrine juive de la résurrection enseignée par les pharisiens, c'est qu'au travers de la résurrection de Jésus "le futur advient dans le présent" et les croyants qui sont unis au Christ ressuscité font advenir eux aussi le futur du royaume de Dieu dans le présent de cette vie par leur vocation et leur mission (p. 92).

L'auteur n'est pas naïf, il sait bien que Dieu jugera le péché et que la mort, le dernier ennemie à vaincre, doit être définitivement arrachée à la réalité de notre monde. Cependant cette mort n'est pas simplement "redéfinie" dans le christianisme comme un moyen par lequel l'âme immortelle serait libérée mais elle est "défaite" et donc déjà conquise à cause de la résurrection (pp. 44-45).

De plus, tout ce nous faisons aujourd'hui dans le Christ ressuscité aura forcément une continuité dans ce futur que le Christ a déjà inauguré par la Pâques où lui même est passée, c'est pourquoi l'apôtre Paul peut dire que nous sommes une nouvelle création en Christ dès maintenant (2 Cr 5, 17). 



Cette façon d'aborder notre espérance n'a rien à voir pour l'auteur avec l'optimisme évolutionniste qui tire son origine dans la pensée du siècle des lumières : l'idée d'un progrès constant de notre monde par la seule action de l'intelligence.

Ce mythe du progrès ou d'une croissance sans fin notamment dans sa version politique "vous verrez ça s'arrangera", l'auteur l'assimile à une parodie de la vision chrétienne du Royaume de Dieu (pp. 139-148).

De plus ce mythe ne tient pas compte de la réalité du mal alors que l'histoire récente du XXième siècle nous donne tant de preuves de la perversité du cœur de l'homme.

A l'opposé de cette conception optimiste, il y a dans la pensée de nombreux chrétiens une version fataliste et démobilisante : fuir ou se désengager totalement de ce monde malfaisant puisque de toute façon il va à sa perte (pp. 149-154). 


Un autre point qui mérite l'intérêt de ce livre est le dépoussiérage de certains mots et expressions bibliques : "aller au ciel"; "être citoyen du ciel"; "Royaume des cieux"; "la rédemption de notre corps"; "l'enlèvement"; la "venue de Jésus dans les airs". Concernant le retour de Jésus, l'auteur écrit non sans humour que Jésus ne descendra pas du ciel tel un "cosmonaute" (p. 211) mais il apparaitra "précisément là où il se trouve actuellement, non pas très éloigné dans notre monde espace-temps, mais dans son propre monde, le monde de Dieu, le monde que nous appelons le ciel" (p. 212).

Plus concrètement, l'auteur veut nous interpeller sur notre vocation de témoin de l'évangile : celle-ci ne peut être focalisée sur le salut d'âmes désincarnées, il faut plutôt saisir que "l'objectif principal du salut dans le présent est de nous permettre de jouer un rôle vital... au sein de cette image plus grande et de ce dessein plus étendu" (p. 277).

Dessein que l'auteur discerne dans le projet de la nouvelle création. Dès lors, il faut comprendre la question du salut de l'homme non pas en terme de béatitude éternelle et d'au-delà mais plutôt ainsi : "comment vais-je adorer le créateur", comment accomplir pleinement cette humanité en image de Dieu ou inversement "contribuer à ma propre déshumanisation" (p. 278). 


 La troisième partie du livre intitulée "L'espérance en pratique : la résurrection et la mission de l'Eglise." arrive à point pour lier la gerbe et nous donner un puissant encouragement pour incarner cette espérance par une reformulation de la mission de l'Eglise (les chapitres 14 et 15) : "La résurrection ne signifie pas échapper au monde, mais recevoir une mission pour le monde sur la base de la Seigneurie de Jésus sur toute la terre" (p. 342 c'est nous qui soulignons).

Il faut se "réveiller" du sommeil présent de ce monde (expression utilisée par Paul en Ep 5, 15) pour avoir les yeux ouverts sur le monde nouveau du ressuscité, le monde où il est Seigneur. L'auteur nous encourage aussi à revisiter les disciplines fondamentales de la spiritualité chrétienne (prière, méditation, l'amour...) : "... dans le contexte d'une espérance surprenante, une espérance qui est enracinée dans la résurrection de Jésus et qui s'engage par anticipation en vue de la nouvelle création de Dieu dans toute sa plénitude." (pp. 388-389).  

En conclusion : il faut lire ce livre car il est particulièrement décapant, subversif et donc stimulant surtout pour celles et ceux qui commençaient à désespérer de leur espérance à force d'entendre que la résurrection de Jésus avait pour but "d'enlever les gens de la terre pour peupler le ciel" alors que la vie de résurrection nous est donnée "pour coloniser la terre avec la nouvelle vie du ciel" (p.419).

Bien sûr l'auteur ne nie pas ce qu'en théologie on nomme "l'état intermédiaire", cette période actuelle de l'histoire du salut où les défunts se trouvent en attente de la résurrection "la vie après la mort".

Mais il n'en demeure pas moins, que le plus important pour la Bible est "la vie après la vie après la mort" (p. 294), expression que l'auteur affectionne particulièrement. Quelle est la tâche des disciples ? Réponse de notre auteur : "Ils doivent maintenant donner naissance à la vie du ciel dans la réalité physique et terrestre...

Après tout c'est le thème central du Notre Père" (pp.418-419). Alors pour reprendre à l'envers le questionnement de l'auteur dans sa préface : qu'allons-nous faire en attendant ? et qu'attendons-nous ?... pour le faire !

Thierry Rouquet