Par delà le silence, quand Dieu se tait
L’idée du silence de Dieu est troublante et aussi ancienne que celle de Dieu même. Elle était présente dans la Bible et se ressent chez presque tous les croyants. Et pourtant la question se pose toujours à nous aujourd’hui. C’est pourquoi le livre du pasteur Gérard Delteil, doyen honoraire de la Faculté de théologie de Montpellier, est le bienvenu et apporte une pierre importante, mais sans doute pas définitive, à cette recherche permanente. Le titre du livre, « Par-delà le silence », nous éclaire sur la perspective de l’auteur.
Le livre commence par un long prélude où l’auteur expose comment la religion peut entraîner la violence, dans la mesure où elle engage une relation à l’Absolu. La Bible en donne de nombreux exemples. Mais l’auteur rappelle que la Bible est plurielle et que sa lecture ne peut être qu’interprétative, ce que Calvin exprime « avec l’aide du Saint-Esprit ».
Par-delà le silence
Quand Dieu se tait
Gérard DELTEIL
Olivétan
207 pages
15,00 €
Il aborde ensuite « L’énigme du silence » en attirant notre attention sur ses multiples formes. Et l’auteur de citer Karajan : C’est l’espace entre les notes qui fait l’essence de la musique. Gérard Delteil présente alors les passages de la Bible qui évoquent le silence. Le plus connu est certainement le Psaume 22 qui commence par ce cri, repris par Jésus sur la Croix, Mon dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Il développe ensuite plusieurs thèmes et d’abord la lutte de Jacob avec l’ange. Lutte incompréhensible, avec un homme inconnu, qui dure toute la nuit, sans un mot. Et le matin l’inconnu, à la demande de Jacob, devenu Israël, le bénit et s’en va. Ce n’est qu’après-coup que Jacob commence à comprendre que Dieu était là. L’auteur analyse le livre de Job, qui n’est que questions. Job se révolte contre l’attitude de Dieu : Appelle, et je répliquerai, ou bien si je parle, réponds-moi (13,22). Mais ce silence insoutenable ne tue pas l’espérance : Je sais bien, moi, que mon Rédempteur est vivant (19,25).
Dans ce parcours biblique sur le silence de Dieu, le plus beau chapitre porte sur le Cantique des Cantiques. Ce livre fait partie des très rares (Esther, Ecclésiaste) qui ne mentionnent pas Dieu et où le silence de Dieu peut être perçu comme une approbation secrète donnée à notre vie.
Gérard Delteil montre ensuite comment la Parole et le silence sont étroitement liés. La parole de Dieu dans les récits bibliques est de l’ordre d’un «événement» qui rompt le silence et la parole brise le silence mais ne l’efface pas. Ainsi alors que le peuple juif est en esclavage en Egypte, Dieu rompt le silence en interpelant Moïse pour l’envoyer libérer son peuple, et il se nomme sans se nommer avec ce « nom » qui intrigue « Je serai qui je serai » (NBS).
Nom qui allie la promesse et le mystère. Mais pour l’auteur, s’appuyant essentiellement sur l’Evangile de Marc, c’est à Pâques que la tension entre silence et parole est la plus forte. Selon cet évangile, la seule parole que Jésus a prononcée sur la croix est celle du Psaume 22, déjà citée « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?». Jésus meurt sur une question sans réponse. Le silence est alors rompu par l’exclamation du centurion : « Assurément cet homme était le fils de Dieu ». Comme la présence de Jésus se contraste avec l’absence de Dieu, la parole se réalise dans le silence.
Le silence de Dieu peut devenir inacceptable et aller jusqu’à provoquer le rejet. Nous le subissons et seule la foi permet de l’accepter, sachant que la Parole est un don dont nous ne disposons pas. Seule l’idole est disponible, utilisable, manipulable. Et Gérard Delteil de citer d’Ormesson : « Je doute de Dieu parce que j’y crois ».
Dans son dernier chapitre, l’auteur évoque la théorie du retrait de Dieu, appelée aussi du mot hébreu « tsimtsoum ». Cette théorie correspond déjà au premier récit de la Création : une fois que celle-ci est terminée et qu’il a donné ses instructions aux humains, Dieu se retire, les mettant devant leur responsabilité. Ce thème se retrouve dans la parabole dite des talents, où le roi confie une certaine somme à chacun de ses serviteurs, à charge pour eux de la faire fructifier. Le temps de l’absence n’est pas un temps vide ; c’est le temps de la liberté.
Gérard Delteil termine son livre avec un beau titre mobilisateur : Ouverture. Il indique comment la foi est un cheminement qui interroge, au travers des questions et des doutes, vers la Parole attendue. Le silence de Dieu est un appel à la responsabilité.
L’auteur propose, outre l’index très pratique des auteurs cités, d’excellents extraits de divers autres auteurs. Nous avons particulièrement apprécié celui sur Kierkegaard, Un silence qui parle : il parle aussi, celui qui se tait pour éprouver l’être aimé.
Bernard Steinlin