Quand parlent les images, Le Royaume des cieux, source d ’enseignement
Ce n’est pas d’aujourd’hui que Céline Rohmer, pasteur de l’Eglise protestante unie de France, se passionne pour les paraboles de l’Evangile de Matthieu. En 2013 déjà, sa thèse de doctorat en théologie et en études grecques et latines classiques portait sur le discours en paraboles du chapitre 13 de cet évangile.
Depuis 2017, elle est enseignante-chercheuse en Nouveau Testament à la faculté de théologie de Montpellier.
Elle vient de publier aux Editions Olivétan « Quand parlent les images », un ouvrage qui reprend ses premières recherches sur les paraboles du chapitre 13 puis s’élargit aux paraboles des chapitres suivants de l’Evangile de Matthieu. Non sans avoir pris soin auparavant d’initier le lecteur, d’une part aux particularités de ce langage imagé digne des meilleures stratégies de communication, d’autre part à la façon dont Jésus s’inscrit dans une longue tradition d’usage de ce mode d’expression.
Les paraboles dans l’Evangile de Matthieu
Céline Rohmer
Editions Olivétan
2017
168 pages
15 €
En introduction, l’auteur précise ses choix sur les dates de rédaction de l’évangile de Matthieu (entre 80 et 90), sur son auteur (un juif qui n’est pas le disciple Matthieu), sur ses sources avec l’apport de données empruntées à l’évangile de Marc et à un écrit aujourd’hui perdu appelé la source Q. Pour l’auteure, l’Evangile s’adresse à une communauté de juifs qui reconnaît en Jésus le Messie annoncé par les prophètes et qui, souffrant du rejet croissant des responsables religieux et du peuple, va devoir penser sa mission en direction des nations. Les paraboles sont racontées dans ce contexte.
Nous sommes en présence d’un ouvrage riche et rigoureux, mais dont la lecture est simple et la présentation pédagogique : de nombreux sous-titres indiquent le contenu des développements, des encadrés donnent des informations complémentaires et des pauses intitulées « pour résumer » synthétisent régulièrement, en moins d’une page, l’essentiel de ce qui vient d’être lu.
La question s’est longtemps posée : pourquoi Jésus a-t-il utilisé le mode des paraboles ? Comme les disciples avaient interrogé directement Jésus à ce sujet, (« Pourquoi te sers-tu de paraboles pour leur parler ? » Matt 13 :10) Céline Rohmer va s’appuyer sur la réponse donnée par Jésus lui-même pour nous en apprendre davantage sur le fonctionnement de la parabole et les fonctions remplies par les paraboles dans l’évangile de Matthieu.
L’auteure conduit ensuite le lecteur dans une méditation du chapitre 13. Pour la première fois, le Royaume des cieux est sujet d’enseignement. Les paraboles le mettent en images avec une proximité inattendue. C’est une découverte qui change tout, comme en témoignent les paraboles du trésor et de la perle. Matthieu ne rapporte qu’une partie des histoires racontées par Jésus : sept ont été retenues qui balisent un chemin pour s’approcher du Royaume des cieux, à la fois ancrées dans le présent et orientées vers la réalité de la fin des temps. L’auteure nous guide dans ce parcours qui commence avec la parabole du semeur, se poursuit avec la parabole des ivraies dans le champ, la parabole du grain de moutarde et celle du levain dans la farine, les paraboles du trésor et de la perle et enfin la parabole du filet jeté en mer. Elle aborde ces récits non pour leur contribution à notre savoir sur le Royaume mais pour leur impact dans notre existence. Elle nous suggère et décrit l’existence d’un pacte parabolique dont Matthieu découvre les différents aspects et qui exige des auditeurs/lecteurs un lâcher-prise pour se laisser bousculer.
Dans les deux dernières parties de son livre, Céline Rohmer met l’accent sur les paraboles des chapitres 18, 20-22 et 24-25. Elle retrace rapidement et met en perspective les évènements qui se succèdent du chap.16 au chap.25. Elle inscrit dans cette histoire tout le langage imagé et les paraboles de Jésus. En parcourant le récit, elle marque donc un arrêt sur chaque parabole qui se trouve alors immédiatement placée dans son contexte, avant d’être analysée et commentée.
L’auteure explore d’abord le rôle des paraboles des chapitres 18 et 20-22 :
- Elles enseignent l’Eglise naissante avec la parabole de la brebis égarée et l’histoire du serviteur ingrat, images destinées à élargir les espaces de compréhension.
- Elles suscitent la surprise avec la parabole des ouvriers de la onzième heure, images bousculant les représentations habituelles de la justice.
- Elles avertissent avec la parabole des deux fils, l’histoire des vignerons assassins et celle du festin nuptial, images cumulées des oppositions au projet divin et de leurs conséquences.
Enfin, l’auteure se centre sur les dernières paraboles de Jésus aux chapitres 24-25, mises au service d’un enseignement sur la fin du monde.
- Elles exhortent à la perspicacité avec l’exemple du figuier
- Elles appellent à la vigilance avec la comparaison concernant Noé, l’allusion au voleur, la parabole des dix jeunes filles en quête de l’époux et la parabole du maître parti en voyage.
Ce qui frappe dans ce livre, c’est la profusion des courtes phrases, des verbes et des adjectifs pour rendre compte de la richesse du langage parabolique et du fait que ce langage figuratif ne se laisse jamais enfermer dans des interprétations définitives.
Grâce à cet essai, le lecteur pourra mieux comprendre les paraboles et apprécier toutes les images qui sollicitent son imaginaire.
Brigitte Evrard