Se reconnaître disciple avant tout
« Qui nous roulera la pierre qui ferme l'entrée du tombeau ? » se demandaient les femmes en se dirigeant vers le tombeau de Jésus pour aller embaumer le corps. « Or, en levant les yeux, elles s'aperçurent que la pierre avait été roulée sur le côté, et c'était un bloc énorme ». Ainsi Jésus, ressuscité, ouvrait à tous (et à toutes…) un formidable chemin de libération et de liberté.
« Qui nous roulera la pierre ? » est le titre du livre de Joëlle SUTTER-RAZANAJOHARY, paru aux Editions Empreinte temps présent. Car c’est la question que se posent les femmes, toujours confrontées à des obstacles quand elles souhaitent servir Christ et son Eglise.
Les femmes dans l‘Eglise
Joëlle SUTTER-RAZANAJOHARY
Editions Empreinte Temps présent, 2018
108 pages – 16 €
Joëlle SUTTER-RAZANAJOHARY est pasteure de la Fédération des Eglises Evangéliques Baptistes de France. Son parcours a été souvent difficile. Son témoignage illustre au fil des pages le contenu de son livre, consacré à des réflexions approfondies et renouvelées sur la place des femmes dans l’Eglise.
L’auteur serait-elle féministe ? Cette expression consacrée étant parfois galvaudée, je dirai plutôt que l’auteur est une femme engagée. Engagée contre les barrières dressées devant les femmes, engagée pour une réconciliation entre hommes et femmes servant ensemble.
Elle inscrit sa réflexion dans un cadre large. Elle aborde les Ecritures en s’interrogeant sur l’interprétation des textes anciens et sur le respect de la nature de la Bible, à la fois humaine et divine. Plus on prendra en considération les particularités historiques des textes, plus on sera ouvert aux particularités de l’époque actuelle. S’impose alors l’idée que la place des femmes dans l’Eglise dépend des multiples façons de considérer les écrits bibliques.
Mais alors comment recevoir les textes bibliques ? De quelle façon permettent-ils de définir le masculin et le féminin ?
Les développements consacrés à une étude rigoureuse des données bibliques constituent un passage parfois ardu pour le lecteur peu habitué aux démonstrations théologiques. Mais c’est un approfondissement indispensable pour celui qui veut se forger des convictions personnelles solides.
Joëlle SUTTER-RAZANAJOHARY démontre que les textes bibliques ne s’opposent pas à un engagement visible des femmes dans l’Eglise. Elle explore les premiers chapitres de la Bible. Et n’élude pas les écrits de Paul, si souvent utilisés pour plaider la soumission de la femme. Citons seulement quelques exemples concernant le début du livre de la Genèse :
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la création de l’humain en Genèse, « en mâle et femelle », avec les variantes utilisées dans le texte hébreu et les dissymétries des commentaires rabbiniques et chrétiens,
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la création de la femme en Genèse 2, avec toutes les richesses du mot hébreu utilisé, un « ezer kenegdo », non traduisible, ce qui va réserver au lecteur quelques surprises !
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les mots qui caractérisent le couple en Genèse 2, (Ish et Isha), juxtaposés avec le sens générique et le sens masculin d’Adam.
Le lecteur doit s’attarder sur cette analyse minutieuse de la Genèse. En effet, l’auteur va l’utiliser pour situer le rapport homme-femme et proposer l’idée d’un « partenariat différencié ». Elle rejette le « complémentarisme », l’égalitarisme et de façon générale tout ce qui peut blesser l’être humain ou effacer les singularités de chaque sexe.
Pour faire évoluer les choses, plusieurs pistes de progrès sont abordés qui vont du travail sur soi (revisiter sa propre histoire, se reconnaitre disciple avant que d’être homme ou femme…) au travail collectif sur la conception de l’Eglise (redéfinir l’autorité, revisiter la compréhension du sacré, vivre la direction d’Eglise autrement…).
Le ton du livre est mesuré, le plaidoyer argumenté. Je conseille donc ce livre à tous les pasteurs et responsables (quelle que soit leur position sur la question de la collaboration des hommes et des femmes dans les communautés chrétiennes) et plus largement à tous ceux qui souhaitent réfléchir sur l’enjeu de la place des femmes .
Brigitte EVRARD