L'auteur (désormais F.L.), enseigne la théologie pratique à la Faculté de théologie de l'Université de Heidelberg.
Dans la première partie du livre, F.L. analyse à partir d'une typologie de 4 familles d'église (catholique, protestantisme libéral, évangélique et pentecôtiste/charismatique) en quoi leur façon d'être Eglise - c'est à dire leur gouvernance, leur spiritualité, leur rapport au monde et à la société - est pertinente ou pas pour annoncer l’Evangile dans le contexte de la modernité. En réalité au-delà de ces 4 confessions chrétiennes il s’agit plus exactement d’une « typologie des réactions des Eglises à l’évolution religieuses » face à la perte de l’influence du christianisme et face au rouleau compresseur du sécularisme (p. 16). Ou comme le dit l’auteur, comment « reconquérir les territoires perdus » (p. 8). On est donc à la croisée de la théologie, de l’histoire et de la sociologie religieuse. Toute typologie a ses limites car on peut rencontrer dans différentes confessions de grandes nuances où vont se croiser ces stratégies d’évangélisation et de rapport au monde.

 

                                                              

   

Communiquer l'Evangile.

Stratégies et structures des Eglises, Fritz Lienhard,  Olivetan/OPEC, 2025, 434 p. 29 €

 

 

 

Fritz Lienhard,

    
La deuxième partie « Jalons pour une stratégie luthérienne et réformée » s’attache à discerner comment les églises luthéro-réformées peuvent tirer leur épingle du jeu dans le contexte de la modernité, en proposant une via media, que ce soit dans le domaine de la gouvernance de l’église, dans le dialogue avec les évolutions éthiques, dans l’intégration culturelle avec nos sociétés.
Je vais développer uniquement la première partie qui décrit chacune des 4 postures chrétiennes dans leurs points forts et dans leurs faiblesses, selon la typologie de l’auteur :

   
- L’évangélisation catholique dans sa version « rêve de Compostelle ». Une référence au discours de Jean-Paul II à Compostelle en novembre 1982, son cri d’alerte pour restaurer la vieille Europe dite chrétienne : « Je lance mon cri d’amour vers toi, vieille Europe. Retrouve-toi toi-même, soi toi-même, redécouvre tes origines… ». Pour F.L. les points forts de cette posture sont : une anthropologie qui place l’homme dans son environnement culturel et qui le relie ainsi à la société dans laquelle il doit faire corps. F.L. explique que cette anthropologie étant englobante, la stratégie évangélisatrice aura pour but de d’influencer aussi les structures sociales et donc engager le peuple de Dieu pour relever les nouveaux défis. D’autre part dans le contexte d’un christianisme minoritaire elle peut contribuer à motiver les personnes en recherche d’une altérité ethico-culturelle. Les faiblesses soulignées par l’auteur seraient : l’immobilisme et l’incapacité à se réformer ; une posture d’attaque frontale contre-productive ; la défense de vérités immuables (le dépôt de foi) qui ne serait pas compatible avec la modernité (p. 42, ici on appréciera, ou pas, la position libérale de l’auteur) ; enfin la rigidité de l’ecclésiologie catholique, sa structure induisant une gouvernance autoritaire avec les abus que l’on sait. Ce dernier point fait l’objet d’une déclaration prophétique des plus surprenante par F.L. : « par les réseaux de croyants vivants leur foi et agissant de manière autonome, [ceux-ci] finiront par prendre le pouvoir dans l’Eglise romaine quand la façade cléricaliste se sera écroulée. » (p. 55)

  
- Le libéralisme est décrit sans ambages « comme une sorte de marchandage avec la pensée profane » dans le but d’« offrir une foi crédible dans les conditions culturelles de la modernité » (p. 62). Au-delà du conflit théologique entre libéraux et conservateurs, on peut s’étonner du parti pris historique des tenants de cette position que l’auteur résume ainsi : « une église et une théologie contemporaines peuvent difficilement éviter d’être libérales » (pp. 72/73 c’est nous qui soulignons). Il n’est pas sûr que l’histoire contemporaine confirme cette tendance, loin s’en faut, qu’on le regrette ou pas d’ailleurs. Les points forts seraient : sa capacité à s’adapter aux évolutions sociétales liées au sécularisme par une éthique plus tolérante et communautaire puisqu’elle engagerait l’ensemble du peuple de Dieu dans des politiques progressistes en vue d’une plus grande justice sociale ; la relativisation ou pluralité de ses doctrines favorisant la tolérance avec toutes les autres religions ; cette posture irait dans le sens de l’histoire des mentalités et donc elle serait plus dans un compagnonnage que dans l’affrontement ; enfin, elle offrirait une troisième voie entre le catholicisme et l’athéisme (p. 75). Les faiblesses de cette stratégie : la banalisation de cette forme de christianisme - par « banalisation » il faut comprendre l’invisibilité, la furtivité de cette posture ; d’autre part concernant sa capacité d’adaptation, les faits ne corroborent pas que le « marchandage » avec la modernité maintienne la survie des églises qui en font la promotion : « Alors qu’en principe les organisations religieuses ne devraient survivre qu’en s’adaptant, elles survivent semble-t-il dans la mesure où elles refusent de s’adapter. » (p. 76) 

  
- L’évangélisation évangélique : on peut regretter que dans ce chapitre au demeurant assez complet et équilibré, l’auteur a tendance parfois à caricaturer le mouvement évangélique en l’associant au « fondamentalisme » avec tout le sens péjoratif que ce terme englobe de nos jours, position identifiée comme « absence de questionnement à établir une immédiateté entre sa propre conviction et Dieu. » (p. 96), même si par ailleurs, l’auteur souligne l’évolution du mouvement évangélique ainsi que sa grande diversité (p. 102). Il y a aussi cette conclusion étonnante de F.L. sur le texte de l’engagement du Cap où l’auteur considère que ce texte suppose que l’homosexualité serait une maladie à guérir (p. 103). F.L. relève toutefois un point positif des évangéliques à savoir leur adaptation au monde moderne, mais là aussi il trouve qu’il y manque l’effort intellectuel critique faisant place au doute, posture difficilement conciliable pour être « un partenaire de dialogue dans une société démocratique plurielle » (p. 106, plus loin p. 386 F.L. fait l’amalgame avec certains mouvements évangéliques américains).

  
- Les réveils pentecôtistes : F.L. reconnait le développement considérable de ce mouvement : « Il s’agit sans contexte du plus grand mouvement de conversion du XXème siècle. » (p. 111). Ses points forts : l’individualisation de la foi, l’encouragement en vue d’accroitre ses aptitudes (l’emphase sur l’épanouissement, l’expression des émotions, la possibilité de vivre des miracles de guérison et d’abondance matérielle), les structures ecclésiales allégées. Concernant les statistiques que donne F.L. pp. 127-128, il aurait fallu aussi noter le taux d’abstention des évangéliques plus important lors de la dernière élection par rapport à la première investiture de Trump, et dans cette forte abstention se sont les évangéliques blancs qui sont à 80%. D’autre part, F.L. semble décrire une connivence entre les évangéliques et les pentecôtistes, or F.L. ne cite aucune source à l’appui, si ce n’est les affirmations farfelues de la télé évangéliste très décriée aux USA par une grande majorité des évangéliques, y compris chez les pentecôtistes, de Paula White-Cain.

  
- F.L. tire la conclusion suivante en faisant la synthèse de ces 4 stratégies missionnaires face à la modernité : le rêve de Compostelle est contre-productif, il est clivant et trop en confrontation ; le libéralisme manque d’engagement, il fait preuve d’une sécularisation interne où l’on ne voit en quoi l’évangile proposerait une véritable alternative à la modernité (phénomène de la « banalisation » : on ne reconnait pas qui est qui) ; quant à l’évangélisme il suscite lui aussi de fortes résistances tout en prônant une autre façon d’être moderne, avec des convictions conservatrices clairement affirmées qui plus est dans un contexte de groupe minoritaire il peut être un atout attractif pour des personnes en recherche d’identité; enfin le pentecôtisme est le seul qui a pu tirer son épingle du jeu en valorisant fortement l’individualisme, en proposant dans une société de consommation à outrance une prospérité et le bien être par la théologie de la guérison divine. Mais là aussi, F.L. caricature la position théologique des évangéliques en l’assimilant à l’évangélisme politique américain qui en plus est bien plus diversifié qu’on ne le croit. F.L. déclare que la posture politique de ce mouvement est une « posture politique délétère » qu’il est « marqué par un fétichisme de la lettre de l’Ecriture qui se présente comme une idolâtrie. » (p. 139)

   
Conclusion : un livre très dense, avec des analyses mêlant sociologie et théologie. On y trouve, à mon sens, pas mal de redites et les clichés habituels sur la posture des évangéliques et des pentecôtistes.

     

     
Thierry Rouquet