Jean-Paul Morley, Dix éclats d'étoile. Un commentaire du livre d'Esther, Olivetan, 2024, 155p. Comme le fait remarquer à juste titre T. Römer dans sa préface, le livre d'Esther est avec celui de Ruth, le seul livre qui porte le nom d'une femme. Avec cet ouvrage Jean-Paul Morley (désormais J.-P. M.) nous gratifie d'un commentaire sur ce livre biblique très prisé dans la tradition et l'histoire juive. La première partie est le commentaire à proprement parler du livre d'Esther. La deuxième partie est une application du texte au travers d'une dizaine de thématique dans le domaine religieux, social et culturel que l'auteur nomme "Les dix lectures du livre d'Esther".

  

 

Dix éclats d'étoiles aux éditions Olivétan,

de Jean-Paul Morley 19 € 

     

Concernant la première partie (le commentaire) : le texte biblique est dans les parties grisées, les aspects techniques d'exégèse ainsi que les détails du contexte culturel sont dans les parties encadrées, le reste est le commentaire de l'auteur dans lequel on trouve aussi de nombreuses indications très intéressantes sur les coutumes de l'époque, comme par exemple, l'importance des banquets, le rite des Pour en 3, 7 (rite consistant à jeter les sorts, p. 41), le tétragramme caché dans l'expression en 5, 4 (p. 57), les parallèles et les structures du texte (pp. 67-68 ; 75-76 ; 85) etc... La deuxième partie du livre propose des pistes d'application du livre d'Esther. Tout d'abord dans le domaine religieux : la spiritualité, Dieu - silencieux et pourtant toujours présent - l'exil et la diaspora. Dans le domaine social : sur la politique, la place de la femme dans la société. Dans le domaine culturel : comment l'histoire et ses contingences peuvent elles consolider l'institution d'une fête ? Remarque : J.-P. M. envisage le livre d'Esther comme "roman historique" ou "fiction" (pp. 13 et 16). Un texte que J.-P. M. trouve joli car magnifiquement écrit, mais un texte qui ne serait au final qu'un conte historique. Si l'histoire se déroule sous le règne de Xerxès I er au début du Ve siècle (environ 480 avant J.-C.), J.-P. M. pense que le texte a été écrit pendant l'occupation grecque au IIIe et IIe siècles (p. 16 et note 2 p. 23 ; note 1 p. 89). Bien évidemment ce parti-pris historico-critique oriente l'interprétation du livre, raison pour laquelle J.-P. M. discerne des additions au texte originel, des emprunts tardifs (note 5 p. 94), ou bien une justification à postériori de la tradition de la fête des Pourim : "La fonction officielle du livre d'Esther est tout simplement d'instituer cette fête, et de la légitimer ensuite en lui donnant un fondement historique." (p. 92). Il est vrai que pour ce qui est des noms d'Esther et de Vashti, aucune découverte archéologiques à ce jour n'a pu confirmer leur identification - une seule allusion à un certain Mardochée mais l'identification reste aléatoire.

  

 

Jean-Paul Morley

     

On peut tout de même dire que tout le cadre culturel de l'intrigue confirme bien ce qu'on sait de ce monarque (Xerxès), un roi capricieux et violent, de plus à la faveur d'un homme de cours comme Haman, plein d'ambitions et intriguant, on peut sans hésiter comprendre que la communauté juive de cette diaspora ait eut des soucis. J.-P. M. évoque "l'antisémitisme ordinaire" (p. 42-43) pour décrire la haine d'Haman vis à vis des juifs. On pourrait penser qu'il y aurait ici un anachronisme. Il est vrai que le décret voulu par Hamann concerne une communauté entière qui dérange parcu'elle n'est pas comme les autres. A ce titre on peut effectivement y voir la volonté d'accomplir un génocide. On trouve donc des similitudes avec l'antisémitisme moderne qui y ajoutera des considérations d'ordre biologiques et raciales, comme on a pu le constater aux XIX et XX siècles notamment avec la Shoa.

     

 

Nous renvoyons ici à l'admirable étude de Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme, 2 volumes, Calmann-Lévy, 1981 qui effectivement relève dans l'histoire d'Esther des similitudes avec la jalousie et la haine qui furent les moteurs de l'antisémitisme tout au long des siècles (p. 17, volume 1). Conclusion : même si tous les lecteurs n'adhéreront pas forcément au recul critique de J.-P. M.sur l'historicité du livre d'Esther, il faut bien convenir que les pistes d'actualisation de l'auteur tout en étant parfois originales sont d'une déconcertante actualité.

     

Thierry Rouquet

   

Vidéo de présentation :