Cet ouvrage fait partie de la collection « La Bible tout en nuances » où l’on associe pour chaque thème traité 3 regards ou 3 entrées : un bibliste, un témoignage de vie et une tierce personne qui met en dialogue différents points de vue. Le sous-titre du livre annonce déjà la couleur « Réinventons le nous » dans ce monde où prédominent l’individualisme, la méfiance, l’indifférence et les jugements à l’emporte-pièce, comment vivre la fraternité ? Comment « cultiver la richesse de l’altérité ? » ? (p. 17) C’est à cette tâche que tentent de répondre nos 3 auteurs sans jugements péremptoires ni sans être donneur de leçons.

 

                                                  

     

Quelle fraternité pour notre siècle,

c éd. Bibli’o, 2024, 129 p. 13.00 € 

   

La première partie d’Isabelle Grenier-Bonnal (I.G.B.) – de loin la plus longue (pp. 19 à 94) – montre comment la fraternité est difficile à mettre en œuvre. Elle reprend à nouveau frais l'histoire biblique de 4 fratries : Caïn et Abel qu’elle nomme « la fraternité refusée ; Ismaël et Isaac « la fraternité empêchée » ; Jacob et Esaü « La réconciliation possible » ; Marthe et Marie la fraternité où l’on peine à trouver sa part. 4 récits qui mettent en avant la difficulté pour des frères et sœurs de partager l’amour et l’attention des parents (p. 56) et la quasi absence des pères dans les relations familiales avec une place prépondérante des mères. Sur ce point il me semble qu’il faudrait nuancer ce jugement à cause du décalage culturel. C’est d’ailleurs ce que reconnait I.G.B. : « Il n’est pas forcément pertinent d’appliquer aux familles de la Bible les schémas de la psychologie moderne » (p. 59).   

 

   

Isabelle Grellier-Bonnal ;               Bruno Lachnitt                          Pierre Servent 

    

Ce parcours biblique a pour finalité de comprendre comment cette fraternité fragile peut-elle s’articuler avec les 2 autres valeurs de la devise républicaine, liberté et égalité. I.G.B. reconnait que la Bible n’associe pas ces 2 valeurs à la fraternité et pour tout dire qu’elles ne s’y trouvent pas nommées. Cependant I.G.B. trouve plusieurs indices dans la Bible qui les supposent comme dans la contestation de la primogéniture ou dans la liberté que certains personnages bibliques prennent en choisissant leur propre chemin indépendamment de la volonté des parents, cf. le parcours d'Abraham.

  

Dans la deuxième partie de Bruno Lachnitt (B.L.) « Traversée vers la fraternité », l’auteur décrit 2 expériences négatives et marquantes de sa vie qui l’ont poussé à rechercher une authentique fraternité. Après de nombreux tâtonnements, B.L. a compris que le lien fraternel d’un homme aimé de Dieu peut devenir un sacrement et même le sacrement qui donne sens à tous les autres : "aucun sacrement n’a de réalité si celui du frère est défaillant" (p. 102). N’est-ce pas ce qu’annonce déjà Jésus en Mat 5, 23-24 ? Et B.L. de préciser : « C’est en vivant cette fraternité là que nous découvrons que le Christ prend de l’épaisseur dans nos vies » (pp. 104-105). Quand B.L. parle de « cette fraternité- » il faut comprendre : une fraternité avec les gens les plus ordinaire voire les marginaux, les laissés pour compte de notre société.

   

La troisième partie « Coudre ou découdre, comment vivre la fraternité ? » avec Pierre Servent (P.S.) est une interview. La fraternité « coud » alors que l’anti fraternité « découd ». L’auteur ayant eu une expérience militaire en tant qu’officier de l’armée française utilise l’image de corps d’armée tout en nuançant son propos, car cette notion de corps peut, et doit être contestée par la conscience de chacun si ce qui est demandé est contraire à la plus élémentaire morale voire à la conscience éthique du sujet.

     

Remarque : I.G.B. s’appuie sur une grille de lecture psychanalytique, une lecture des textes bibliques influencée par celle de Marie Balmary. Personnellement, je ne suis pas convaincu que la forme verbale hébraïque de Gen 12, 1 doit se traduire par « va vers toi ». Cette construction verbale typique de l’hébreu où l’on répète le verbe à l'infinitif est une expression emphatique d’insistance, pas plus. D’autre part comme le dit Pierre-Yves Brandt au sujet des lectures psychanalytiques ; « Ces démarches ne doivent cependant pas faire oublier, comme le note Dominique Stein, qu’elles apportent plus d’éclairages sur ce qui se passe dans l’inconscient du lecteur du texte biblique que sur celui de l’auteur du texte : en effet, à aucun moment l’auteur du texte n’est venu s’étendre sur le divan. » (« Introduction à la psychologie de la religion », Labor & Fides, 2023, p. 127, c'est nous qui soulignons)

   

Conclusion : un livre intéressant parce qu’il fait dialoguer des personnes aux compétences très différentes et aux parcours atypiques notamment pour celui de B.L. sur un sujet oh combien important pour l’église et ses nombreuses divisions, pour les familles et la société de plus en plus clivée et fracturée.

   

Thierry Rouquet