Filigrane
Francine Carrillo (désormais F.C.) est théologienne et poète. Avec ce livre, elle nous offre un texte dont le projet est de dé-couvrir, au sens littéral du terme apocalypse, ce qui en filigrane est partiellement caché dans l❜existence et l❜aventure humaine ou comme le dit F.C. tenter de mettre en évidence ''les pré-textes de nos vies'', une allusion aux palimpsestes. Pour cela, F.C. plonge son regard sur quelques textes et thèmes bibliques de l❜A.T. avec une traduction originale de la langue hébraïque, parfois même en utilisant la guematrie, un procédé consistant à faire des associations de mots par la valeur numérique de leurs lettres (pp. 15,26,75). Son interprétation des textes s❜adosse en grande partie à des commentateurs juifs de la tradition hassidique. De nombreux rabbins issus de cette tradition sont cités ainsi que Catherine Chalier, spécialiste de ce courant.
Filigrane, collection ''Petite Bibliothèque de Spiritualité'',
Francine Carrillo, Labor & Fides, 2024, 101 p. 15 €
On appréciera particulièrement le style d❜écriture de F.C., une écriture très fine dans son analyse de la pâte humaine et de ses combats intérieurs, sensible au moindre détail du texte. On pourra toutefois faire quelques remarques :
- Si la guematrie est un procédé par les cabalistes et pour le moins original, on peut néanmoins se poser des questions sur sa pertinence en exégèse biblique car on y décèle une sorte de fascination pour les mots - et même les lettres - déconnectés de leur fonction sémantique : '' Et cette nourriture, je la puise dans le pouvoir qu❜ont les mots de faire de la lumière.'' (p. 80 et 98). On peut assurément mettre cette fascination de l❜auteur sur le compte de son intérêt pour la poésie mais pour ce qui est de l❜exégèse biblique la guematrie manque tout de même d❜une certaine rigueur. J. Barr dans son livre Sémantique du langage biblique a bien démontré le risque de faire fausse route en ce domaine (Aubier Montaigne/Cerf, 1971).
Francine Carrillo
- Un postulat en filigrane dans l❜ensemble de ce livre : les certitudes et affirmations théologiques seraient assurément trompeuses parce qu❜en réalité il ne peut y avoir de vérités que celles qui se laissent questionner et transformer par le lecteur. Avec cette mise en demeure de ne pas se laisser engluer dans une sorte de fondamentalisme, le mot est lâché...
- La notion de ''toute-faiblesse'' de Dieu (pp. 51-54) a contrario de la ''toute puissance'' affirmée quasiment partout dans l❜ensemble des Ecritures. F.C. associe cette ''toute-faiblesse'' à la notion de tsimtsoum, une sorte de le retrait de Dieu dans la création afin de laisser place à la liberté de l❜homme (pp. 93-94). Une théorie de la cabbale, reprise par le théologien Jurgen Moltmann.
Conclusion : F.C. a une très belle écriture pour dire des choses avec délicatesse, j❜ai notamment apprécié le chapitre ''Le frémissement de Sarah'' et son interprétation du ''rire'' de Sarah. Il se pourrait par contre que les lecteurs férus d❜exégèse biblique restent dubitatifs ou du moins sur leur faim.
Thierry Rouquet