Jung et le protestantisme
Avec ce livre, Bernard Hort (B.H.) nous fait découvrir une face peu connue du psychanalyste Zurichois, ce qui explique le sous-titre qui n’apparait pas en première de couverture : « La face méconnue d’un pionnier ». Peu de personne connaissent l’influence prépondérante que joua la théologie protestante libérale du XIX siècle dans l’élaboration de la pensée de Jung, c’est là tout l’intérêt de cette étude de B.H.
Jung et le protestantisme,
Bernard Hort, Labor & Fides, 2023, 229 p. 19 €
La première partie fait l’inventaire de ces influences protestantes et de leur réel impact. Son père était un pasteur et Jung bénéficia très jeune de la bibliothèque familiale, sans y trouver de quoi nourrir son insatiable curiosité intellectuelle. B.H. souligne l’influence appréciée par Jung de la théologie de F. Schleiermacher notamment sur la part faite à l’intuition et à l’expérience religieuse non réductible à toute forme de rationalité. Par contre B.H. souligne le positionnement beaucoup plus critique de Jung par rapport à Barth, Bultmann et Schweitzer. Tout en lisant ces penseurs, Jung cherchera toujours à s’émanciper de la théologie protestante sans devenir toutefois « univoquement antichrétien » (p. 71). Il cherchera plutôt « à développer une intuition qui dépasse aussi bien la théologie que la psychologie de son temps » (p. 72). Ce sont surtout les théologiens de l’école de l’histoire des religions qui auront une influence sur Jung en le conduisant à s’intéresser aux écrits gnostiques. Cette littérature gnostique contenant des visions, symboles et mythes aura un impact notable sur Jung. Là est le point crucial et disons-le polémique que souligne B.H. : comment évaluer l’influence de cette littérature et l’utilisation que Jung en a faite dans ses théories psychanalytiques ?
Bernard Hort
La deuxième partie « le protestantisme dans la pensée de Jung » s’attache à analyser comment le psychanalyste s’est réapproprié ces influences, comment a-t-il réinterprété tout cela dans le cadre de sa psychologie analytique, de sa pratique psychanalytique ? Ici, B.H. analyse la réception de la pensée de Jung qui oppose deux courants : d❜un côté ceux qui pensent que Jung serait un néopaïen, un mystificateur mélangeant toutes sortes d’idées ésotériques, bref un manipulateur du religieux, un imposteur (pp. 146-152). A l’opposé, ceux qui voient en lui un homme intéressé par le monde des univers religieux dans le but de parvenir « toujours prioritairement à ce qui parle à l’âme » (p. 154). B.H. penche favorablement pour ce deuxième courant tout en critiquant fermement le premier.
B.H. classe les textes où Jung tente de se positionner par rapport au protestantisme en 3 groupes : le plus important est celui qui comprend des textes critiques à l’égard de la théologie protestante, le deuxième favorable au protestantisme n’est pas très conséquent (il s’agit essentiellement d’un plébiscite pour Schleiermacher), enfin la troisième catégorie de textes considère le protestantisme comme un « paradoxe au regard des exigences de l’individuation » (p. 158).
En conclusion : j’avoue ne pas avoir été convaincu de la critique de Jung sur le protestantisme et même étonné de sa valorisation du catholicisme (p. 161 et 173). Je ne vois pas en quoi une ritualisation et une qualité « sacerdotale de médiateur » du pasteur seraient un avantage pour la cure d’âme d’un paroissien (p. 171 ce sont les propos de Jung lui même cité par B.H.), même si je peux le comprendre en rapport avec la fascination de Jung pour les symboles et rituels en tous genres.
Toujours est-il que l❜étude de B.H. sur Jung nous fait découvrir un personnage qui restera à mon sens énigmatique et tout de même inquiétant quant à l’intérêt massif qu’il portât au gnosticisme et à certaines formes d’ésotérisme - nous ne savons pas grand chose de cette fameuse crise qu❜il traversa et qui le conduisit à s❜intéresser de si près au gnosticisme. Peut-être est-ce dû en partie à un rejet du protestantisme libéral de son temps, ce que semble confirmer notre auteur « Il faut le dire sans détour, la transgression des codes et des convenances du protestantisme fait pour ainsi dire partie de l’ADN de Jung » (p. 190-191),
Thierry Rouquet