Le christianisme mondial se modifie : tandis qu’il décroit au Nord (Europe et Amérique du Nord) il explose au Sud et à l’Est (Amérique Latine, Afrique et Asie.) Un basculement dont les conséquences sont importantes : la théologie occidentale devient minoritaire, la question de l’universalité et de la contextualisation des Ecritures et de la théologie devient aigüe.

 

 

 

  

  

Évangile et culture. Réflexions théologiques de cinq continents
Sous la direction de Hannes WIHER
Editions Excelsis - 2021,
488 pages -24 €

    
Le livre « Évangile et culture. Réflexions théologiques de cinq continents », publié sous la direction de Hannes WIHER aux Editions Excelsis, s’empare de cette problématique. Selon Bernard HUCK, c’est une « collection de textes rédigés par des jeunes théologiens qui revendiquent leur identité évangélique, sous la direction d’un vieux routard de la missiologie Hannes WIHER ». Les auteurs sont présentés à la fin du livre.

  
Particulièrement bien structuré, ce livre échappe aux difficultés de mise en cohérence de tout ouvrage collectif, grâce aux introductions et aux synthèses de Hannes WIHER pour chacune des quatre parties consacrées aux théologies contextuelles, respectivement en Amérique Latine, en Afrique, en Asie, en Europe et Amérique du Nord. La cinquième partie, également écrite par Hannes WIHER, est une synthèse générale, théologique et missiologique ; elle présente des solutions possibles aux problématiques de contextualisation.

  
Mais pour comprendre le débat sur l’articulation entre révélation universelle et théologie contextuelle, il faut revenir à l’introduction générale de Hannes WIHER et au chapitre 1 « L’universalité et la contextualité de la théologie » de Marie-Noëlle YODER. Le lecteur y trouve :

  
Des éléments historiques montrant que partout et depuis toujours, les chrétiens ont interprété la Bible et se sont positionnés de manière différente face à leurs contextes
• Une discussion sur le concept de contextualisation
• Quelques typologies des rapports entre d’une part l’Eglise et la théologie, d’autre part les cultures locales. Citons à titre d’exemple la plus connue, celle de Richard Niebuhr qui distingue 5 attitudes possibles : le Christ contre la culture, le Christ de la culture, le Christ au-dessus de la culture, le Christ et la culture en paradoxe, le Christ qui transforme la culture. Citons aussi celle de Dean Flemming, le premier théologien évangélique à réfléchir la contextualisation sur la base du Nouveau Testament, qui observe quatre attitudes chez Paul : confirmer, s’opposer, relativiser ou transformer les éléments culturels.
• Une première approche sur la pertinence et les limites des théologies contextuelles

  

Les choix opérés dans cet ouvrage sont partiels ; cependant le lecteur peut approfondir les contributions et aller plus loin grâce à l’abondante bibliographie à la fin de chaque chapitre et du livre.

  

Les auteurs exposent, puis évaluent différentes pensées théologiques, notamment :

  
Gustavo Gutierrez et sa théologie de la libération (Erwan Cloarec)
Samuel Escobar et son refus de considérer l’Évangile comme une idéologie parmi d’autres, mais aussi sa volonté de proclamer l’Evangile seul, mais l’Évangile entier (Matthieu Gangloff)
René Padilla et son plaidoyer pour une théologie contextuelle latino-américaine correctement fondée et pour la mission intégrale de l’Eglise (Timotius Cede)
Bénézet Bujo et sa conception du Proto-Ancêtre afin de faire le lien entre l’importance des ancêtres dans les religions traditionnelles africaines et la christologie chrétienne (Collin Jennings)
Kä Mana et sa théologie de la reconstruction (Julien Coffinet)
Kwame Bediako et son souci de réconcilier foi chrétienne et identité africaine (Marc Declaudure)
Barnabé Assohoto et sa préoccupation d’harmoniser les différentes conceptions théologiques du discours africain du salut (Cindy Lüthi)
Aloysius Pieris et Michael Amaladoss, à l’appui d’une étude des christologies asiatiques (Johnatan Djouate)
Michael Amaladoss et la présentation de son ouvrage « Jésus asiatique » (Daoly Ya)
Le Réseau de l’Asie du Sud-Est (SEANET) et ses propositions pour annoncer Jésus parmi les bouddhistes (Nan Cai)
James Hal Cone et sa théologie noire, profondément biblique, stimulante, invitant les théologiens blancs à élargir leur regard (Thomas Poëtte)
• Une théologie évangélique contextuelle en Europe (Alexandre Nussbaumer)

  

Un sommaire page 5 et une table des matières très détaillée page 479 facilitent les recherches.

  

Les travaux universitaires sélectionnés sont récents. Ils rappellent le contexte historique dans lequel les théologies contextuelles des pays du Sud sont apparues (les indépendances, le retour vers les cultures traditionnelles, le rejet de l’époque coloniale, la critique des méthodes d’évangélisation occidentales …) Ils n’ignorent plus que les systèmes religieux d’Asie sont très divers et très complexes, si éloignés des concepts bibliques que l’incompréhension des asiatiques s’en trouve accentuée.
Le livre « Évangile et culture. Réflexions théologiques de cinq continents » est une perspective évangélique sur les théologies contextuelles, une approche qui privilégie à la fois la fidélité aux Ecritures et la pertinence pour la culture.
Je le recommande à tous ceux qui veulent comprendre comment les présupposés et les acquis de la théologie occidentale sont aujourd’hui bousculés par les Eglises non occidentales et par la sécularisation des sociétés dans lesquelles elles se sont déployées.

   
Brigitte EVRARD