La force des femmes
Denis Mukwege (D.M.) est médecin en R.D.C. (République démocratique du Congo) On le surnomme le «Docteur Miracle» parce qu'il opère des femmes qui ont subi des violences sexuelles. Il a reçu en 2018 à Oslo le prix Nobel de la paix avec Nadia Murad une ancienne esclave sexuelle de Daesh, qui est devenue la voix des femmes yézidies et qui elle aussi dénonce sans relâche les violences sexuelles en temps de guerre. Il a aussi reçu le titre de citoyen d'Honneur de la ville de Paris.
Denis Mukwege,
La force des femmes,
Gallimard, 2021,
398 pp., 20 €
Dans ce livre, D.M. raconte sa vie, le contexte de sa naissance au Congo, les traditions qui formatent la pensée des hommes dans leur relation aux femmes. D.M. fut élevé par une mère qui dérogeait aux règles ancestrales qui prônaient une suprématie des garçons sur les filles ce qui plus tard dans la mentalité des hommes leur donne une sorte d'impunité dans leur rapport aux femmes en leur permettant ces violences et humiliations. Le tournant de sa vie fut le jour où accompagnant son père - pasteur pentecôtiste - dans ses visites pastorales, il vit la nécessité non seulement de prier pour les femmes malades mais aussi leur apporter l'aide médicale et les soins nécessaires (pp. 45-46). C'est là qu'est née sa vocation, alors qu'il n'était qu'un enfant.
Certaines pages de ce livre sont insoutenables, âmes sensibles s'abstenir, car notre auteur raconte les horreurs des guerres au Congo depuis les années 90 dont il a été témoin sans toutefois céder au voyeurisme malsain. Mais les faits sont là : des milliers de femmes et d'enfants violés, kidnappés pour devenir des esclaves sexuels, sachant que si ces femmes survivent, elles sont bannies pour toujours de leur communauté, ne pouvant plus se marier et portant à jamais cette opprobre. D.M. milite dans ce livre pour une éducation dès le plus jeune âge des garçons qui soit respectueuse des femmes, notamment sur la question de la préférence des genres et les tâches domestiques dont les garçons sont totalement exemptés (chapitre 10 "les hommes et la masculinité").
Si D.M. n'adhère pas à toutes les thèses féministes il en relève néanmoins certains points qui démontrent que les comportements violents ou méprisants à l'égard de la femme s'inscrivent plus tôt qu'on ne le croit et dès le plus jeune âge dans l'éducation donnée aux enfants et dans les modèles des parents, notamment dans le type de relation que le mari entretient avec son épouse. Ne pensons pas non plus que ces problèmes seraient circonscrits à l'Afrique et au Congo oriental (le pays du viol comme on l'a qualifié à cause des guerres successives et des pays limitrophes, le Rwanda). D.M. donne beaucoup de chiffres en Europe et au USA qui font froid dans le dos, d'ailleurs les révélations actuelles des médias qui s'amoncellent chaque jour et le mouvement #MeToo le prouvent suffisamment. D.M. tente dans ce livre de prouver que le viol est une arme de guerre c'est pour cette raison que les groupes armées qui le pratiquent doivent être condamnés par les juridictions pénales internationales pour des crimes de guerres et crimes contre l'humanité. Dans ce livre, D.M. explique que le viol a toujours été utilisé en temps de guerre mais aussi lors de périodes d'instabilité et de chaos y compris par les armées d'occupation venant libérer un pays, de quelques bords qu'elles soient.
En conclusion : D.M. est un activiste mais au sens noble du terme. Son militantisme s'appuie sur sa foi chrétienne et son amour pour le prochain surtout pour les plus vulnérables, les bannis de ce monde. Même s'il fut tenté à plusieurs reprises d'abandonner - il a échappé 3 fois à des attentats et est menacé constamment - une force intérieure l'a toujours poussé à persévérer dans cette vocation. Une leçon de vie qui interpelle. Travaillant sans relâche dans des circonstances difficiles - son pays ne le soutient pas et les politiques ferment les yeux - étant confronté à des situations tragiques, sa sensibilité fut plus d'une fois mise à rude épreuve. Mais D.M. dit avoir compris une chose : " Je me suis toujours dit qu'une émotion qui n'est pas suivie d'actions ne sert à rien... Nous devons trouver des manières de canaliser nos sentiments de tristesse, de dégout, d'admiration, d'amour, de les transformer en décisions qui aident à réduire la souffrance des autres." (pp. 117-118). Nos émotions transformées en décisions ! Voilà un beau programme pour chacun de nous et pour l'Eglise de Jésus-Christ.
Thierry Rouquet