Frédéric Rognon nous gratifie ici d'un livre remarquable tant par l'étendue des sujets abordés que par la qualité de cette recherche. On appréciera la mise en parallèle de ces deux grands penseurs que sont J. Ellul et B. Charbonneau qui sont resitués dans le courant du personnalisme des années 30.

  

Pour cela, Frédéric Rognon utilise un grand nombre de textes des deux penseurs, que ce soit des articles parus dans des revues ou des monographies beaucoup plus nombreuses pour ce qui concerne J. Ellul. On peut imaginer la difficulté de cette recherche par la masse des documents à compulser, analyser, comparer. 

  

Le sous-titre résume bien le contenu de ce livre "L'écologie de J. Ellul et B. Charbonneau".

  

Le titre "Défi de la non-puissance" est essentiellement l'objet du dernier chapitre (32) même si effectivement le positionnement éthique de ces deux auteurs - quelque soit les sujets traités - relève bien d'une éthique de la non-puissance.

  

C'est à dire de l'impérieuse nécessité d'établir des seuils et des limites au delà desquels l'homme n'est plus homme mais se comporte comme un dieu : "l'éthique de la non-puissance est une éthique de l'autolimitation et de la sobriété, qui va à contre courant par rapport aux tendances lourdes de la société technicienne." (p. 265)

   

Le défi de la non-puissance

Frédéric Rognon

Collection Convictions & Société

Editions Olivétan

2020

299 pages 

 

J'ai apprécié :

  

- La simplicité avec laquelle F. Rognon s'efforce de retranscrire fidèlement la pensée des auteurs sans sacrifier à la complexité des idées, sans caricaturer mais en restant attentif aux nuances et subtilités.

On peut saluer le souci pédagogique pour ce professeur de philosophie et d'éthique, par exemple la différence chez Ellul entre "espoir" et "espérance" (p. 120). 

 

- F. Rognon a aussi la finesse d'analyse pour mettre en évidence la pertinence et l'actualité de certaines idées de ces deux précurseurs de la pensée écologique qui dès les années 30 vont critiquer de nombreux points de la société qui aujourd'hui sont devenus des lieux communs du débat (cf. le chapitre 2 "Une écologie précoce") : précurseurs des théories de décroissance, ainsi l'expression " on ne peut concevoir un développement infini dans un monde fini" serait de B. Charbonneau dès 1944. 

  

- La variété des sujets touchant à l'écologie : une analyse pénétrante de l'emprisonnement lié à l'utilisation de la voiture ; travail et loisirs ; comment être engagé pour une cause sans être l'otage de cet engagement ; la condition animale et le lien solidaire avec l'humanité ; l'extension démesurée des banlieues (la France qui deviendra la banlieue de Paris); les fausses espérances d'une écologie technicienne qui nourrit le problème qu'elle est sensée régler ; la politique etc...

Plus de 30 chapitres courts ce qui facilite la lecture et si on veut poursuivre la réflexion sur l'un de ces sujets on peut se référer à la liste exhaustive des ouvrages de ces 2 penseurs cités dans la bibliographie (avec leur réédition). 

   

Pour conclure : face à de telles problématiques écologiques le défi sera de "nous laisser interroger, remettre en question, par le caractère corrosif de leurs thèses." (p. 275). 

 Thierry Rouquet