Le jour où la Durance, Marion Muller-Colard, éditions Gallimard (collection sygne), 2018, 181 pages 









« Il faut qu'il soit mort pour qu'on se souvienne de Bastien. Il faut dire que, de son vivant, Bastien excellait dans l'art de se faire oublier. »

 Le deuil. Plus précisément, le deuil d'un grand enfant qui n'existait pas vraiment. Voilà le sujet de ce nouveau roman de Marion Muller-Colard, dans lequel nous pouvons apprécier une fois de plus son style littéraire particulièrement captivant. Ses phrases sonnent aux oreilles comme de la poésie.

« Tout le monde n'a pas le don des larmes. » Cette première phrase du roman plonge le lecteur dans l'élément qui l'accompagnera tout au long du livre : l’eau ; qu'il s'agisse des larmes, de la crue de la Durance, de la pluie, ou de l'eau de la baignoire. 

Sylvia, mère de Bastien, enfant puis adulte lourdement handicapé, à peine vivant, et mère de Clothilde, jeune femme en pleine santé, fait face à la mort de son fils. Se glissent également dans cette histoire des fragments de la vie et de l’enfance de Sylvia. On assiste au fil du texte à la transformation de cette mère, sa sortie de son carcan de rigidité. On la voit petit à petit accepter la douleur et le chagrin. La mort de Bastien donne naissance à une nouvelle vie, une vie où fragilité, douceur et tendresse voient le jour. C'est d'une beauté incroyable. 


 

« Y avait-il un flux qui allait en sens inverse, en réponse pour ainsi dire, de lui à elle ? Aujourd'hui elle le jurerait, elle donnerait cher pour le toucher encore, elle marchande comme tous les endeuillés, égarés dans la perte, le toucher même une seule fois, jurer à on ne sait qui qu'on y mettra tant de désir, tant de conscience et d'application, que ce geste-là vaudra pour mille et pour l'éternité. Toucher une fois pour remplir une fiole de cette sensation vive, la fermer aussitôt et la rendre hermétique au temps, à son œuvre d'usure, d'érosion, de Grand Pâlisseur sans pitié. »


 

J’invite toute personne prête à se laisser toucher par le récit d’une vie faite de souffrance et de fragilité face à l’incompréhension à ouvrir ce livre. Un vrai chef-d'œuvre qui ne verse pas dans le drame mais qui laisse un arrière-goût d'espérance, de relations restaurées et de vie renouvelée. 

Hélène Lasnes