Nos racines juives, au berceau du christianisme
Lorsque Raymond Aron est mort peu de temps après l’accession de la gauche au pouvoir, le quotidien Libération, qui ne partageait rien de ses idées, titra sobrement « la France perd son prof ». Au sein de toutes les communautés, chaque période a « son prof ». Le choix est difficile dans le protestantisme, qui comprend de nombreux porte-paroles de qualité et jamais incontestés.
Pourtant, il en a été ainsi ces dernières décennies avec Alphonse Maillot puis Daniel Bourguet. Le pasteur Antoine Nouis, conseiller éditorial de Réforme et auteur de nombreux ouvrages de référence, entre dans cette lignée qui allie profondeur de pensée, sens de la pédagogie et élégance d’expression.
Antoine Nouis
Collection J’y crois, Bayard
2018
155 pages - 14,90 €
L’auteur est connu de ses collègues et des prédicateurs laïques pour ses ouvrages de vulgarisation sur les Écritures, de soutien à la direction des cultes et de promotion d’un protestantisme moderne et œcuménique. Mais son dernier opus sur « nos racines juives » marque une évolution et occupera une place toute particulière dans sa bibliographie.
Car il expose cette fois-ci une théologie personnelle. Ou, pour être plus exact, et reprendre une de ses expressions, il mentionne quelle théologie s’est progressivement imposée à lui.
Celle-ci repose sur « les racines juives » du christianisme, c’est-à-dire sur les livres qui composent l’Ancien Testament, renommé Premier Testament aujourd’hui par de nombreux biblistes et théologiens. Mais cette somme de convictions s’est aussi fondée sur les commentaires oraux et écrits de ces textes par les rabbins des premiers siècles de l’ère chrétienne.
Regroupés dans ce que l’on appelle le Talmud, ces commentaires constituent en effet pour Antoine Nouis une sagesse inégalable, qui non seulement éclaire le message de Jésus, mais mieux encore facilite l’approche du Dieu de Jésus-Christ.
On connaît l’attachement porté depuis longtemps par l’auteur au Premier testament, et beaucoup de chrétiens ont besoin d’un avocat aussi convaincu. Car ils éprouvent des difficultés à intégrer dans leur foi ce monument dont ils limitent souvent la lecture et l’analyse à quelques références très connues de la Genèse ou du Deutéronome et à quelques Psaumes.
Les récits historiques apparaissent trop circonstanciés et violents, les prophètes (petits et grands) trop confus… D’où la tentation de se concentrer sur le Nouveau (ou Second) Testament.
Erreur fondamentale que l’auteur corrige fort opportunément, en multipliant les démonstrations sur la continuité entre les deux Testaments. L’apport essentiel de l’ouvrage est de démontrer l’héritage du Christianisme envers la Bible Hébraïque, dont il prolonge le message d’Alliance entre Dieu et son peuple.
Dès lors, il est indispensable de connaître, méditer et commenter les trois branches de ce Testament que constituent, selon la classification juive, la Torah, les Prophètes et les Autres Écrits. Mais au-delà, il est souhaitable d’en faire une « lecture infinie » (infinie en raison des innombrables commentaires et des interprétations effectués par les Rabbins, somme inégalée de sagesse, de perspicacité et de diversité d’opinions).
Ce serait même le meilleur antidote à l’excès de dogmatisme et de fondamentalisme qui guetterait le Christianisme, comme toute Religion.
Ce livre se dévore d’une traite et il se referme avec la grande satisfaction d’avoir beaucoup appris. Appris ou mieux compris des concepts fondamentaux, trop souvent mal assimilés.
Le format pédagogique de la collection de Bayard « J’y crois » s’allie pour cela à la plume de l’auteur (on notera notamment la brillante anaphore de la conclusion sur les raisons de croire aux racines juives, peut-être d’ailleurs trop longue et trop argumentée pour remporter totalement la conviction).
L’ouvrage donne envie d’aller plus loin, pour notamment découvrir ce Talmud qui apparaît si éloigné de nos bases culturelles et théologiques, et qu’Antoine Nouis nous révèle à travers certaines magnifiques leçons de sagesse de rabbins. Il donne également envie prolonger la réflexion sur la thèse de l’auteur, éventuellement pour nuancer le jugement.
Car, on ne peut limiter aux racines juives les fondements du Christianisme : la meilleure perception de ses racines ne suffit pas à définir une Religion. Si la complémentarité et la continuité des deux Testaments s’imposent, l’Incarnation et la Résurrection constituent une rupture, et deux évènements véritablement fondateurs par rapport à la Torah, aux Prophètes et au Talmud, sur lesquels nous attendons avec impatience notre « prof »… pour sa prochaine leçon.
Alain Joubert