Briser l ’omerta de l ’abus spirituel
Marie-Laure Janssens, avec Mikael Corre
Editions Bayard, 2017
260 pages 18,90 €
« Le silence de la Vierge » de Marie-Laure Janssens, paru aux Editions Bayard en 2017, est le récit d’un phénomène encore tabou au sein des Eglises et communautés chrétiennes : celui de l’abus spirituel, l’abus commis par quelqu’un qui profite de son autorité pour dominer spirituellement et psychologiquement une autre personne, la privant progressivement de son libre-arbitre.
Si l’auteur précise qu’il s’agit d’une variante religieuse de l’emprise affective et psychologique, c’est aussi pour en évoquer la circonstance aggravante. Dans un milieu religieux, écrit-elle « on touche à ce que l’humain a de plus intime : son rapport à la transcendance. »
Marie-Laure Janssens est diplômée de Sciences-Po Paris. Elle a passé 11 ans au sein de la communauté des sœurs contemplatives de Saint-Jean.
L’histoire de cette communauté est publique et la presse en a largement parlé : fondée en 1975 par un dominicain français Marie-Dominique Philippe, elle sera soupçonnée de dérives sectaires et connaitra une scission en 2009, suite à la destitution de ses responsables jugées trop autoritaires.
Les témoignages personnels sont par contre rares. C’est pourquoi, celui de cette ancienne religieuse est précieux et courageux.
Tabou, secret de famille, omerta, mutisme forcé ….quels mots utiliser ? Quand Marie-Laure Janssens demande à la hiérarchie catholique l’autorisation de publier son histoire, elle ne reçoit pas vraiment un encouragement de l’évêque qui lui conseille au contraire le silence, avec cette phrase « Ce n’est pas avoir peur de la vérité que de garder le silence lorsque celui-ci est le langage du don de soi, le langage du service comme la Vierge Marie vous le fait comprendre.» En réponse, celle qui fut Sœur Marie-Laure décide alors de parler. D’où le titre à double sens du livre : le silence de la Vierge.
Ecrit avec l’appui de Mikael Corre, journaliste à l’hebdomadaire catholique Pèlerin, le livre se lit aussi facilement qu’un roman. Mais hélas, ce n’est pas un roman ! Marie-Laure Janssens décrit simplement sous cette forme littéraire les mécanismes qui l’ont conduite à tomber sous l’emprise de deux de ses supérieures et qui l’ont brisée psychologiquement et physiquement. C’est aussi l’histoire aussi de la dérive sectaire d’une communauté religieuse.
Cinquante chapitres très courts racontent chronologiquement une tranche de vie, et livrent sans fard et sans excès une confession intime et bouleversante.
Les remontées des souvenirs sont souvent contestées. Mais dans cet ouvrage, les souvenirs de l’auteur sont ravivés et complétés par sa lecture des 177 lettres qu’elle avait alors écrites à ses parents, et dont elle publie des extraits.
Si on retrouve une description des rouages désormais bien connus de l’emprise affective et psychologique, l’intérêt de l’ouvrage est de mettre en évidence les spécificités des comportements abusifs dans des milieux où la foi et l’amour de Dieu sont au cœur des engagements.
Par exemple, l’auteur décrit l’exigence des permissions pour les actes de la vie courante et les séances hebdomadaires de confession des manquements à la vie communautaire, acceptées en vue d’une docilité plus grande à l’Esprit Saint.
Elle souligne comment le rejet de toute rigueur et de toute contextualisation a servi de prétexte à une lecture intuitive et manipulatrice des écrits de Jean. Elle consacre un passage à l’art de la correction, considéré comme exercice ultime de la charité fraternelle, mais en réalité critiques quotidiennes et répétées qui font mal.
Elle explique comment le diable est appelé en renfort si nécessaire, lui qui est présenté comme l’inspirateur des doutes sur la vocation et qui se manifeste dans des agressions qualifiées de démoniaques ou de graves ennuis de santé.
A l’heure où les médias parlent beaucoup de la libération de la parole, le dernier chapitre du « silence de la Vierge » s’intitule Aveuglement, dénonciation de la peur du scandale toujours présente au sein de l’Eglise catholique et donc de son « silence criminel » pour reprendre les mots de conclusion de Marie-Laure Janssens.
L’ouvrage n’est cependant pas une charge contre l’Eglise catholique. Il peut nous aider à ouvrir les yeux sur des pratiques similaires dans d’autres dénominations et dans d’autres cadres religieux. Il analyse avec rigueur la manipulation mentale qui y est racontée. C’est donc une lecture utile et que je recommande fortement pour comprendre de telles dérives et leurs conséquences dramatiques pour les victimes.
Brigitte Evrard