MARIE DURAND, l’insoumise

Danièle Vaudrey- Editions du Jasmin

2016 - 211 pages - 16 euros








Marie Durand, l’insoumise
, est le onzième « roman » (plutôt ici une biographie à peine romancée) de Danièle Vaudrey, essayiste, journaliste et romancière. Il paraît aux éditions du Jasmin.



Marie Durand l'insoumise



Ce récit est ancré dans l’histoire, celle du protestantisme lors des persécutions qui ont connu leur paroxysme après la révocation de l’Edit de Nantes. Il a pour héroïne une adolescente de quinze ans, Marie Durand. Son histoire fut souvent racontée, mais elle reste peu connue hors des milieux protestants où elle est le symbole de la résistance et de l’insoumission. Née en 1711, elle fut emmurée trente-huit ans à l’intérieur de la Tour de Constance à Aigues-Mortes pour crime de « religion », n’ayant pas voulu abjurer sa foi protestante. Elle fut un exemple de non-violence, de combativité et d’intelligence.



Dès les premières pages, nous sommes transportés dans l’univers de la paysannerie ardéchoise. L’Edit de Nantes a été révoqué depuis trois décennies et Louis XIV a aboli tous les droits des protestants, détruit leurs temples, confisqué leurs biens et supprimé leurs sécurités. La guerre des Cévennes ou « guerre des camisards » vient de se terminer et le protestantisme est « hors la loi » dans tout le royaume. Les huguenots sont pourchassés, emmenés aux galères, mis en prison, brûlés, pendus. Un vrai génocide. Les enfants sont systématiquement arrachés aux familles, ils doivent se déterminer sur leur foi, ils sont privés de leur enfance comme le sera Marie Durand.



Notre héroïne est la fille d’un homme pieux et instruit, Etienne Durand, né en 1657. Il a connu la guerre des Cévennes, mue par le prophétisme, un mouvement qui soulèvera le peuple protestant du sud de la France pour donner naissance aux camisards, ou aux assemblées secrètes animées par des prédicateurs comme Laporte, trahi et tué à vingt-quatre ans. Etienne Durand a connu ces évènements tragiques, les massacres et les persécutions dans ces contrées rebelles du Vivarais. Il aspire à une vie paisible tout en exerçant la charge de greffier consulaire, qui lui donne une certaine aisance et de la respectabilité. Héritant d’un domaine, le « Bouschet-de-Pranles », il fera graver sur le linteau de la cheminée de la ferme « loué soit Dieu-1696 ».



Marie a un frère, Pierre, de cinq ans son aîné, qui deviendra pasteur. Grâce à l’instruction donnée par son père, elle apprend à lire et à écrire le français, sans se limiter au patois occitan, langue la plus parlée dans cette région. Sa mère sera arrêtée lors d’un prêche de son fils et mourra sans revoir sa fille. Son frère devra fuir en Suisse. Quand au père, il sera incarcéré pendant quatorze années. Sans doute ses convictions profondes sont-elles nées de ces expériences douloureuses et de la foi indéfectible de sa famille ?


Marie Durand



Marie se retrouve seule à quinze ans… Incapable de gérer la ferme, elle accepte de se marier sans avoir obtenu l’accord de sa famille. C’est peu de temps après qu’elle sera arrêtée et conduite dans la Tour de Constance, à Aigues-Mortes. Elle en ressortira trente-huit ans plus tard.



A cinquante-sept ans, elle reçoit enfin sa lettre de grâce, signée le 31 mars 1768. Couverte de dettes, elle retrouve sa maison délabrée. Sa santé fragile ne lui permet pas de remettre la ferme en état. Elle écrit : « mon existence a été un tissu de tribulations qui m’ont réduite dans l’état le plus triste de la misère ». Sa foi restera cependant intacte jusqu'à sa mort en 1776.



Le livre décrit également avec beaucoup de précision la vie de ces femmes recluses, compagnes de captivité de Marie, de ces « mortes-vivantes », enchaînées alors qu’elles n’ont aucune possibilité de s’enfuir. On vit avec elles leur quotidien, on devine leur volonté farouche de conserver une foi vivante, de la partager, de vivre une humanité vraie. Elles restent un exemple fort de lutte contre l’intolérance et pour la liberté de conscience.


L’Edit de tolérance, qui octroie l’état civil aux protestants, sera signé dix ans après la mort de Marie Durand.




Martine Bonnet