Lévitique 1-10 : Les sacrifices

Publié le : 2024-03-01 13:03:49

Lévitique 1-10 : Les sacrifices

Alfred Marx est professeur honoraire d’Ancien Testament de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, où il a enseigné pendant quarante ans. Il a notamment publié plusieurs livres académiques de référence sur le sujet des sacrifices dans l’Ancien Testament. Avec ce commentaire sur la section du Lévitique consacrée aux sacrifices, il fait état de toute son expertise sur le sujet.

 

Il s’agit du premier volume d’un commentaire sur le Lévitique qui sera composé, à terme, de 3 volumes : le troisième (sur Lévitique 17 à 26) a déjà été publié en 2011 par l’auteur ; le deuxième (sur Lévitique 11 à 16), rédigé par Christophe Nihan, n’est pas encore sorti. Ces volumes s’inscrivent dans la célèbre série de commentaires protestants historico-critiques publiés par l’éditeur genevois Labor et Fides. Ils remplacent le commentaire de René Péter-Contesse (sur Lévitique 1-16) publié en 1993 dans la même collection.

 

 

Lévitique 1-10 : Les sacrifices

Commentaire de l’Ancien Testament IIIa-1 Alfred Marx

(Labor et Fides, 2023, 163 p., 29 €)

 

L’introduction (p. 7-20) du volume sur Lévitique 1-10 introduit en réalité aux chapitres 1 à 16. L’auteur revendique une approche « critique » du texte biblique, une lecture « débarrassée des présupposés dogmatiques, et uniquement soucieuse de dégager la pensée de ses auteurs » (p. 9). Il date la rédaction du Lévitique « sous le règne de Darius (522-486) », soit à l’époque où le Temple est reconstruit et le culte est rétabli à Jérusalem, après l’exil babylonien et la destruction du premier Temple (587 av. J.-C.). Les auteurs du Lévitique sont désignés par la lettre « P », ce qui est une manière courante de se référer aux « prêtres » ou aux « milieux sacerdotaux » qui, selon la reconstruction de certains théologiens modernes, sont à l’origine de certaines sections du Pentateuque. Selon Alfred Marx, le Lévitique aurait été écrit dans le but de « devenir la charte de l’Israël postexilique » (p. 8). Elle présente notamment « une véritable réforme du culte sacrificielle, rendue nécessaire à la suite d’une réflexion sur les causes de la catastrophe de 587 » (p. 120).

Malgré cette approche historico-critique, Alfred Marx s’oppose aux spécialistes qui ont cru discerner « différentes couches rédactionnelles » au sein du Lévitique (p. 17). Il défend ainsi une étude du « texte du Lévitique tel qu’il est » et souligne l’unité et la cohérence du livre (p. 17-18).

  

Le commentaire proprement dit est relativement technique et semble destiné à des lecteurs habitués à lire des livres de théologie. Alfred Marx met à profit ses compétences en hébreu biblique – qu’il a enseigné pendant plus de quarante ans – en s’arrêtant particulièrement sur le sens des mots hébreux. Le texte biblique est commenté dans l’ordre du texte, section par section. Le commentaire sur les chapitres 1 à 7 (les sacrifices) est ponctué par trois « conclusions » sur le sens des sacrifices.

 

À plusieurs reprises, Alfred Marx s’oppose de façon assez virulente aux interprétations chrétiennes classiques qui lisent les lois du Lévitique comme une préfiguration du sacrifice de Jésus-Christ. Par exemple, il critique ceux qui présentent les sacrifices de Lévitique 4 et 5 comme des « sacrifices expiatoires » ou des « sacrifices pour le péché ». En effet, il n’y a rien dans le texte qui permette de voir les sacrifices comme une « souffrance » nécessaire en vue « d’apaiser la colère divine » (ce qui correspond à la notion d’expiation selon les dictionnaires français). De même, alors que le mot « péché » en français désigne une faute consciente, les fautes qui sont absoutes par les sacrifices de Lévitique 4 et 5 sont « commises par inadvertance, par négligence, ou même inconsciemment » (p. 76).

 

Pour Alfred Marx, les lois du Lévitique sur les sacrifices présentent ceux-ci comme un « repas festif » que l’on offre à Yhwh « comme habituellement à un hôte que l’on veut honorer » (p. 68). Ce repas n’a pas pour but de « nourrir Yhwh, comme s’il en dépendant pour sa survie ! Il a pour unique fonction de l’honorer en tant qu’hôte de marque que l’on a l’insigne privilège de pouvoir inviter » (p. 68). Le commentaire souligne comment les lois insistent sur la manière dont les offrandes animales et végétales doivent être préparées, découpées méticuleusement, voire cuisinées. Il montre aussi comment le Lévitique emploie le vocabulaire de la racine qrb – qui dénote la « proximité » – pour se référer à l’action de l’offrant qui « fait approcher » le sacrifice. Car l’enjeu derrière les sacrifices est bien de pouvoir « s’approcher » de Dieu pour partager un repas avec lui. Ainsi, le sacrifice manifeste « la proximité entre Yhwh et ses fidèles » (p. 69). En même temps, certains aspects des lois sur les sacrifices témoignent de l’altérité de Dieu. Par exemple, le fait que le sang des sacrifices ne peut être consommé par les humains mais qu’il est offert à Dieu rappelle que « Yhwh est à l’origine de toute vie, que lui seul peut en disposer » (p. 119). Si certaines parts sont réservées aux prêtres, c’est parce qu’il y a besoin d’intermédiaires entre Yhwh et les humains. « Le rituel sacrificiel, tel que l’ont conçu les prêtres [qui ont écrit le Lévitique], manifeste ainsi à la fois l’altérité et la similitude de Yhwh, sa transcendance et sa proximité » (p. 119).

 

Au-delà du fait que je ne partage pas l’approche « critique » d’Alfred Marx, je reste dubitatif sur certains points d’interprétation. C’est le cas, notamment, de la façon dont il interprète l’offrande végétale (Lévitique 2) comme une mise en valeur du régime végétarien qui serait en « adéquation avec l’utopie originelle » de Genèse 1.29-30 (p. 55). 

Cela dit, on dispose avec ce volume d’un commentaire érudit de qualité et en français. La réflexion de l’auteur est stimulante et apporte un éclairage nouveau sur cette partie de l’Ancien Testament souvent assez peu étudiée et encore moins prêchée. On peut regretter qu’Alfred Marx se refuse à lire les textes à la lumière du Christ, au moins dans un second temps. Cette compréhension des sacrifices comme d’un « repas » pourrait, me semble-t-il, éclairer les récits évangéliques des nombreux repas que Jésus a partagés, y compris son dernier repas durant lequel il a institué la Cène.

 

Timothée Minard

 

 

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