Faire face, le visage et la crise sanitaire

         Loin des thèses conspirationistes, nos 2 auteurs, agrégés de philosophie, nous entrainent dans une réflexion très stimulante autour du thème du visage et de sa portée symbolique. Avec l'obligation des gestes barrières et du port du masque nous serions entrés dans une sorte de nuit, car "on ne saurait conserver une vie morale et politique proprement humaine en rendant l'homme invisible et intouchable." (p. 16). Pourquoi insister autant sur la nécessité de se voir, de dévisager l'en-visageable ? Parce qu'une société ne peut s'épanouir que si ceux qui la composent se font un minimum confiance et celle-ci est fondée sur ce que les auteurs nomment "le principe de visibilité réciproque" et "de ce pacte implicite, le visage nu est le vivant symbole." (p. 20). Les grecs n'appelaient-ils pas les esclaves aprosopon, littéralement les "sans visages" ? Serions-nous devenus à notre tour des esclaves ? Les auteurs décryptent minutieusement certains slogans du gouvernement, ainsi : "quand on aime ses proches on ne s'approche pas" et de se demander si cela suppose que nous voulons construire une société de l'évitement.

Faire face, le visage et la crise sanitaire, 

Martin Steffens & Pierre Dulau, 

Editions Première Partie, 2021,

152 p. 17 €

            Pour nos auteurs, cette crise est bien plus qu'une crise sanitaire, elle révèle des vulnérabilités qui étaient déjà présentes mais non encore dévoilées. Il ne faudrait pas que ce régime de défiance perdure car l'histoire à l'inverse de la grammaire ne connait pas les parenthèses... et cet état d'urgence pourrait bien se prolonger sans jamais se clore (p. 29). L'enjeu est donc bien plus qu'un simple enjeu sanitaire. Et nos auteurs de poser quelques questions dérangeantes : n'existe t'il pas quelque chose de plus fondamental que notre santé ? "A quoi tenons-nous ? Quel est ce à quoi nous préférons notre propre santé ? A quoi pourrions nous sacrifier notre peur de mourir ? " (p. 30).

            Poussant plus loin la réflexion, les auteurs dévoilent différentes crises : crise morale car si l'hôpital est en crise, c'est aussi le cas de l'hospitalité ; une crise politique, les auteurs décrivent une forme de dicareture ( p. 79, de care = prendre soin, une sorte de totalitarisme hygiéniste) ; une crise sociale car la prégnance du masque nous fait "perdre la face" et ce n'est pas rien car ce que nous perdons est précisément ce qui nous distingue les uns des autres, ce qui fait de chacun de nous des êtres singuliers : " Masqués, nous sommes de plus en plus réduits par notre interlocuteur à l'idée qu'il se fait de nous. Notre face, parce qu'elle est masquée, est une table rase où l'autre écrit à sa guise le fantasme qui est le sien." (p. 96). Enfin c'est aussi et surtout une crise anthropologique et spirituelle (chap. 8), l'homme masqué est le symbole de cet homme factice que nous propose le transhumanisme : un post-homme, un nov-homme mais rien de ce qu'est l'homme véritable, créé en image de Dieu.

Martin Steffens                                                                                                           Pierre Dulau

            En conclusion : avec tous ces visages masqués nous sommes entrés dans une nuit qui ne se dissipera que dans la reconnaissance du visage du prochain apparaissant sous ses traits singuliers. Si ce livre est d'une lecture parfois ardue au niveau de la réflexion et des références invoquées, il nous révèle néanmoins que dans cette crise nous avons perdu de vue ce qui fait de l'homme un être en image de Dieu de par la singularité de son visage. Ce n'est pas anodin si pour désigner Dieu les écrivains bibliques utilisent l'expression "la face de l'Eternel".  Aurions nous perdu la face ou comme l'indique le titre sommes nous prêts à "faire face" ?

Thierry Rouquet

Vidéo : 

Interview de Martin Steffens et de Pierre Dulau à propos du livre "Faire face"

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