Martin Luther : Puiser aux sources du protestantisme

Publié le : 2016-07-25 12:23:49

Martin Luther : Puiser aux sources du protestantisme

Martin Luther (1517-2017)

Puiser aux sources du protestantisme

Marc Frédéric Muller, éditions Olivetan, 211 p., 20 euros






En 1980 Jean-Paul II allait à Mayence rencontrer les luthériens allemands, démarche que le pape François se prépare à faire en 2017 en Suède. François leur dira-t-il comme Jean Paul:
Aujourd’hui je viens à vous vers l’héritage spirituel de Luther ? Héritage que Marc Frédéric Muller nous présente en 211 pages denses, dans lequel il évoque en un premier temps le message individuel et historique de Martin Luther, et en un second temps les prolongements de ce message aujourd’hui, dans l’Église Protestante Unie de France d’obédience luthérienne.

Sans jamais citer les maîtres de l’historiographie française –Lucien Febvre, Henri Strohl, Jean Delumeau et Pierre Chaunu avant lui –, M. F. Muller retrace le cheminement de Luther non en historien mais en théologien luthérien contemporain. C’est ainsi qu’il nous conduit au cœur du message du Réformateur : l’absolue gratuité de la grâce, le salut par la foi seule et non par les œuvres et la Loi, au moyen de la rédemption opérée par Jésus Christ, en son sang (Rm.3, 23-25), Jésus Christ seul conduit au Père, la grâce seule permet d’accomplir la volonté de Dieu, la foi seule en Christ peut recevoir la justice divine, et l’Écriture seule est source de révélation. Cette première partie est extrêmement claire et bien documentée, illustrée par de très nombreuses citations tirés des œuvres de Luther.

Martin Luther

Elle reçoit une sorte de conclusion avec le chapitre III consacré à l’unité des chrétiens du monde entier, ce que le Credo appelle «communion des saints». Or seule l’Église catholique romaine a signé en 1999 la Déclaration commune avec les luthériens, sans que cela fasse avancer vraiment la marche de l’unité. En effet, la justification par la foi seule est la pierre angulaire du protestantisme, alors qu’elle ne représente qu’une doctrine, à côté d’autres dans la hiérarchie des vérités, pour les catholiques. «Malgré la Concorde de Leuenberg, la déclaration est restée confinée dans le cadre d’un dialogue bilatéral», reconnait M. F. Muller. Il consacre la fin de ce chapitre à l’évocation des nouvelles tendances du christianisme mondial sous le titre de «Église et culture émergente mondialisée». Il cite longuement les travaux de Sébastien Fath et de Jean-Paul Willaime et consacre plusieurs pages à l’analyse des «Eglises émergentes» du christianisme anglo-saxon dans lesquelles certains théologiens voient la naissance d’une nouvelle Réforme, voulant se réapproprier l’Église. Dans un monde du 21e siècle, en situation de crise comme l’était celui du 15e et du 16eles Églises institutionnelles affrontent la concurrence des évangéliques et des émergents. Il est salutaire de rappeler que, pour Luther, l’Église n’a qu’un centre, Jésus Christ, et ne s’apparente ni à un réseau ni à un forum associatif.

La lecture devient plus ardue quand l’auteur aborde à partir du chapitre IV le regard de Luther sur les Juifs et sur les Musulmans, jouant sur le décalage entre le 16e siècle et le nôtre. Il met bien en lumière le conflit entre une première affirmation de la judéité de Jésus (1522, 1523, 1535) et les aberrations, le délire anti-juif du vieux Luther (1543). En inscrivant la question juive en dehors de l’économie de la grâce, de la miséricorde, pour la situer dans celle de l’ordre du monde, Luther semble avoir considéré les Juifs comme des insurgés (…) qu’il fallait soumettre ou expulser (…) parce qu’ils s’attaquaient non aux marges de la société (…) mais à sa tête, à ses autorités, à son pouvoir (p. 130). Peut-être aurait-il pu rappeler queces thèses ont été contestées de son temps, en particulier par Calvin, avec une pensée déjà moderne saluée par des historiens contemporains comme Patrick Cabanel et Myriam Yardéni. Quant à l’Islam, Luther ne le connaissait que par les Turcs, et ce, de façon superficielle. Sa réaction se situe dans un contexte historique malgré tout fort éloigné de notre appréhension actuelle du problème.


Martin Luther

C’est à un bel exercice de foi que se livre M. F. Muller quand il aborde la pertinence de la doctrine luthérienne aujourd’hui en matière de protection de la création, de l’exercice du pouvoir, de l’école ou de la conjugalité. Les conceptions du Réformateur semblent parfois obsolètes, quand elles n’ont pas été invoquées à l’aide de politiques comme celle du régime de Vichy (p.189). Ou, de façon encore plus ironique, par les 95 thèses de 2012 pour l’accueil des minorités sexuelles au nom de l’Évangile en une sorte de réintroduction acrobatique de la théorie luthérienne des «mandats divins» (p.195-199). Sans vouloir cacher la complexité des orientations actuelles des Églises chrétiennes, et le foisonnement d’initiatives locales pour lesquelles nous n’avons aucun recul, l’auteur conclut néanmoins que «les écrits de Luther ouvrent quelques pistes qui méritent d’être approfondies, notamment dans son Commentaire de la Genèse.» C’est ce que le lecteur se sent encouragé à faire après avoir refermé un ouvrage très riche – trop riche peut-être – en perspectives actuelles qui nous invite non pas à penser comme Luther, mais avec Luther.


Arlette Sancery

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